L’attraction de l’appartenance pluri nationale

Inspirés par le Front National, le Président Hollande et le Premier ministre Valls proposent de séparer les Français en deux catégories : ceux qui ont obtenu la nationalité française mais en conservent aussi une autre, trace de leurs origines étrangères, et ceux qui n’en ont qu’une.

Il s’agirait d’une réponse symbolique au terrorisme selon ces responsables. Or, cette classification prend à rebours les aspirations d’une grande partie des jeunes en termes d’identification à la communauté politique. La vision de la nationalité organisée par la provenance géographique ne semble plus correspondre chez les jeunes à un modèle dominant, même s’il existe toujours.

A travers de très larges enquêtes dans des agglomérations françaises nous avons interrogé les adolescents il y a quelques années dans le cadre du projet Polis (voir d’autres résultats http://www.esc-eurocrim.org/newsletter/Dec13ESCnewsletter.pdf) sur la manière dont ils envisagent leur appartenance nationale.

On sait par les enquêtes de l’INSEE et l’INED (TeO en particulier) que l’essentiel des adultes qui ont une double nationalité (5% en France en moyenne) sont des immigrés ou leurs descendants. Il est donc utile de considérer cette distinction importante pour saisir les aspirations à la nationalité. Je sépare rudimentairement les adolescents dont les deux parents sont nés en France et ceux dont un parent est né à l’étranger. C’est insuffisant pour être très précis car l’origine traverse les générations au delà du seuil que je fixe. Cela donne un premier aperçu.

Lorsqu’on leur demande « Si tu avis le choix, quelle nationalité aimerais tu avoir ? la nationalité française, une autre nationalité, une double nationalité ? » les adolescents dont au moins un des deux parents est né en France sont seulement 17,5% à dire « la nationalité française » uniquement, moins à dire « une autre nationalité » uniquement (13,3%) et 69% à dire une double nationalité. C’est dire l’importance de l’idée d’appartenance multi nationale dans la jeunesse d’origine étrangère en France. Tout se passe comme si la nation n’était pas rejetée, mais était insuffisante à capturer leur identité nationale. Cette dernière déborde l’idée d’un état, une nation. Mais, dira-t-on ceci est tout à fait logique : le fait d’être partagé traduit les itinéraires des familles. Certes, mais l’ampleur du phénomène frappe.

Surtout, la prise en considération des adolescents dont les deux parents sont français alimente cette interprétation. La nationalité française uniquement regroupe logiquement plus de choix 44,7% (bien plus du double), une autre nationalité 7,4%, mais l’option « une double nationalité » attire encore 48% des jeunes. A nouveau, le modèle d’une citoyenneté multi nationale est le plus fréquent. Et on sera sans doute aussi frappé par la faible taille de la référence exclusive à la France.

Les coupures symboliques que le gouvernement met en débat veulent tracer une séparation qui pose des problèmes juridiques majeurs quant à l’égalité des Français devant la loi, ce qui ne surprendra pas s’agissant d’une idée d’extrême droite, mais ceci a déjà été largement discuté. Plus généralement, l’approche sous jacente pose également des problèmes par rapport aux grandes mutations des flux de populations et aux représentations qui émergent dans la jeunesse. Les adolescents se sentent français, mais pas seulement. Ce n’est pas l’un ou l’autre. Le projet de loi ne fait-il pas prendre le risque d’orienter la France, symboliquement puisque c’est de cela qu’il s’agit, vers un modèle un peu daté – bien qu’il ait historiquement fait ses preuves – plutôt que tourné vers une vision plus actuelle de la communauté politique. Ne risque-t-il pas d’être pris comme un sommation à être d’un côté ou de l’autre (malgré soi, du fait de ses origines), plutôt que de rechercher à construire l’unité des citoyens à partir de cette nouvelle donne ?