Violences Policières: »Il se passe quelque chose, qui s’inscrit dans une tendance de fond très importante. Le gouvernement ne l’a pas compris, il croit qu’il y a des incidents. »

https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-30-novembre-2020

France Inter, matinale

« Il y a maintenant un précédent », estime Sebastian Roché sur les récentes images de violences policières qui ont choqué l’opinion publique. « Une grande partie des Français refusent la violence policière. Dans nos sociétés, de plus en plus, on refuse que les autorités soient violentes : que ce soient les maris dans leurs couples, les prêtres vis-à-vis des enfants, ou les policiers. Aujourd’hui, le fait d’appartenir à une autorité n’autorise plus la violence. Ce mouvement de rejet a commencé avant [les images de Michel Zecler], il a commencé avec la formation de différents petits groupes dans la société française, essentiellement de familles de victimes, comme dans le cas d’Adama Traoré. Puis il y a eu une manifestation importante de 20.000 personnes devant le TGI de Paris ; on n’avait jamais vu ça, des manifestations des victimes vers des lieux de pouvoir. Et enfin, la manifestation [de ce samedi] dans plusieurs villes de France. »

« Huit fois plus » de violences pendant les contrôles en France qu’en Allemagne

« La situation de la police en France est extrêmement préoccupante », précise Sebastian Roché. « Elle traverse une crise morale comme jamais : une crise de comportement des agents (un certain nombre d’entre eux), une crise de la hiérarchie qui ne fait pas son travail (qui ne contrôle pas l’usage des armes, les habilitations). La police française est dans une très mauvaise posture, entre violence et racisme. Et on n’a pas encore ouvert la question de la corruption, puisqu’en général ces trois questions vont toujours ensemble et qu’elle devrait venir aussi sur la table. »

Il compare avec la situation chez notre voisin allemand : « En matière de discriminations, on a fait un certain nombre d’études et il n’y a pas de doute sur le fait que la police française est discriminatoire vis-à-vis des minorités ethniques, alors que ce n’est pas le cas dans la police allemande des Länder, ou dans une proportion bien moindre. En ce qui concerne la violence de police lors des contrôles, les ratios sont de 1 à 8, c’est huit fois plus fréquent en France que la police utilise la violence. Quand on regarde le nombre d’homicides policiers, le nombre de policiers qui tuent des citoyens, rapporté à la population, il est plus élevé qu’en Allemagne. Quand on regarde le nombre de tirs d’armes à feu, il est huit fois plus élevé en France qu’en Allemagne. Sur l’usage de LBD, il est infiniment plus élevé en France puisqu’en Allemagne, il n’est pas autorisé. On a une situation qui est extrêmement grave, pour lequel il y a à peine un début de prise de conscience politique, à reculons. Ce n’est pas suffisant. »

« La police française est congelée dans les années 80 »

« Il y a un problème de commandement, de vision : la police française est congelée dans les années 80, elle n’a pas fait évoluer sa doctrine de maintien de l’ordre », estime le chercheur au CNRS. « Elle n’a pas fait évoluer sa doctrine de sécurité publique, on en est toujours à essayer de trouver les personnes qui portent 2,5g de cannabis sur eux. Elle n’a pas fait évoluer son système de contrôle, qui reste un contrôle uniquement interne. La formation, elle est la conséquence de la direction politique. En huit mois, vous ne pouvez pas former des policiers compétents, quand les Danois prennent 24 mois et les Allemands 36 mois. »

Etats-Unis, Allemagne, Royaume-Uni… comment la police est évaluée et sanctionnée à l’étranger

D’une démocratie à une autre, les systèmes d’enquête et d’audit de la police – et de ses dérives – varient largement.

https://www.leparisien.fr/faits-divers/etats-unis-allemagne-royaume-uni-comment-la-police-est-evaluee-et-sanctionnee-a-l-etranger-29-11-2020-8411177.php

Échauffourées en marge de manifestations, interpellations violentes, délogements de campements… En France, à chaque manquement présumé des forces de l’ordre, l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN) est sollicitée pour enquêter et délivrer des propositions de sanctions selon ses résultats. Récemment, elle a notamment été saisie après la diffusion d’une vidéo montrant le passage à tabac d’un producteur de musique et l’évacuation violente de migrants de la place de la République à Paris.

Mais les résultats de ses travaux font souvent l’objet de reproches : parce qu’elle est sous l’autorité de la Direction générale de la police nationale (DGPN), l’IGPN, qui est composée de policiers, est fréquemment accusée de manquer d’indépendance dans son travail d’enquête.

Cette « police des polices » à la française n’est d’ailleurs pas le seul système à être visé par des critiques. Dans les autres démocraties du monde, les procédés de surveillance et d’évaluation de la police varient largement, que ce soit dans les moyens alloués pour un contrôle sur le terrain ou dans le degré d’indépendance accordé aux autorités qui peuvent auditionner et enquêter sur la police. Voici quatre exemples.

Aux Etats-Unis, beaucoup de moyens mais peu de discipline

Sur le terrain. Une bonne partie des forces de l’ordre américaines est équipée d’au moins un système d’enregistrement, selon une étude menée par le ministère de la Justice américain en 2018. Elle y dénombrait, en 2016, qu’au moins 47 % des stations de police étaient équipées de caméra-piéton. 69 % disposaient de caméras sur les tableaux de bord des voitures de police, et 38 % avaient des enregistreurs audio. L’écrasante majorité de ces stations avaient au moins utilisé une de ses caméras piétons durant l’année où l’étude a été menée.

Sur le plan disciplinaire. Contrairement à la France, il n’existe pas de grande institution nationale chargée d’évaluer et d’enquêter sur les éventuels mauvais agissements de la police aux Etats-Unis. C’est donc au niveau local que tout se fait, avec, notamment, des « bureaux des affaires internes », des « comités sur l’usage de la force », composés de policiers chargés d’enquêter sur leurs collègues après des dépôts de plainte.

Il existe également des comités civils, composés donc de citoyens, dont les pouvoirs sont limités. Ils peuvent seulement se prononcer sur une enquête faite en amont par la police après une plainte, en demandant de la recommencer ou de l’approfondir.

Ces comités et bureaux internes restent cependant imparfaits dans un pays où la question des violences policières est récurrente. « Ces trente dernières années, un consensus s’est formé sur le fait que les forces de l’ordre se confrontent rarement, voire jamais, aux problèmes d’usage excessif de la force, et n’entreprennent pas d’elles-mêmes des réformes considérables en interne », s’inquiétait déjà Merrick Bobb, directeur du Police Assessment Resource Center, un centre chargé d’évaluer les interventions de la police, en 2005. Depuis, les affaires de violences policières – parfois jugées racistes – continuent de s’accumuler, comme la mort de George Floyd en mai dernier, qui a déclenché une vague internationale de manifestations.

En Grande-Bretagne, des systèmes indépendants et plus transparents

Sur le terrain. Comme dans beaucoup d’autres pays, les policiers anglais et gallois (l’Irlande du Nord et l’Ecosse ont leur propre gouvernance) disposent de caméras-piéton les filmant sur le terrain. « Il y a même des études qui sont faites sur leur efficacité et leur utilité, par le chef de police de la force donnée, en partenariat avec l’université », développe Sébastian Roché, directeur de recherche au CNRS et auteur de « De la police en démocratie » (éd. Grasset, 2016).

Ces études ont notamment permis de voir que l’usage des caméras ne garantissait pas systématiquement un apaisement entre les populations et les policiers en intervention. « C’est probablement lié aux conditions d’emploi, à l’approche de la police, et à la formation des policiers », analyse le spécialiste.

Sur le plan disciplinaire. Le système anglais et gallois se compose en plusieurs strates, détaille Sébastian Roché. « Pour les petites affaires, ce sont les services de police qui enquêtent eux-mêmes, comme l’IGPN. Quand on parle de violences policières, de racisme, on a deux autres mécanismes : le HMIC (« Her Majesty’s Inspectorate of Constabulary », l’Inspection de sa Majesté de la police, en français), dépendant du ministère de l’Intérieur, et l’IOPC (l’Independent Office for Police Conduct, l’Autorité Indépendante pour la Déontologie de la Police, en français) », explique-t-il. « Le HMIC n’est pas assujetti au directeur des forces de police, il est par définition plus indépendant », ajoute-t-il.

L’IOPC l’est encore plus. « Il n’est pas rattaché au ministère de l’Intérieur. Il est dirigé par un magistrat, avec un conseil d’administration qui n’a pas de policier. Il est composé d’enquêteurs, de magistrats, d’anciens administrateurs dans des structures, ou encore des avocats », explique Sébastian Roché. L’IOPC se distingue aussi par sa transparence : cette autorité rend toutes ses données accessibles en ligne, qu’il s’agisse ou de statistiques annuelles ou de rapports sur des cas particuliers. Ces derniers peuvent être ensuite transmis à la justice, comme en France.

En Allemagne, des enquêtes au niveau fédéral

Sur le terrain. Depuis 2013, l’usage de caméras-piéton est testé ou déployé dans la majorité des états allemands et de leurs polices locales, ainsi qu’au niveau de la police fédérale.

La loi permet aussi aux citoyens de filmer l’action des policiers. « En Allemagne, les policiers ont les mêmes droits que les citoyens, ni plus ni moins », développe Sébastian Roché. « Ça veut dire qu’ils ont un droit à l’image, qu’on ne peut pas diffuser les images qui montrent le visage des policiers sans leur accord. Mais la législation allemande a introduit une disposition concernant l’Histoire en train de se faire : si l’événement filmé peut avoir une portée historique, il n’y a pas de restriction de filmer ou de diffuser. » Une affaire de violence policière peut donc rentrer dans cette case.

Sur le plan disciplinaire. L’Allemagne, qui fonctionne sous un système fédéral, n’a pas de grande institution nationale en charge d’auditer et d’enquêter sur les interventions de la police et les plaintes de citoyens. Dans la plupart des Etats allemands, ces compétences relèvent des autorités locales. « Chacun des ministres de l’Intérieur de chaque état a un système de contrôle interne, comme en France », explique Sébastian Roché. « Il n’y a pas d’organisation indépendante à côté, ça n’existe pas, mais c’est en cours de discussion dans le pays. » Certains Etats, comme le Bade-Wurtemberg, le Schleswig-Holstein et la Rhénanie-Palatinat ont cependant un défenseur des droits qui peut être saisi par un citoyen qui estime être victime de la police.

Sebastian Roché explique cette différence par la confiance des Allemands dans le système juridique : c’est une Cour constitutionnelle qui fixe le cadre d’intervention et de déploiement de la police. Les parlementaires ont aussi le pouvoir de contrôler et d’enquêter sur ses moyens, rappelle le spécialiste.

En Suède, une unité spéciale au sein de la police

Sur le terrain. L’usage de caméras piétons n’est pas généralisé en Suède, même s’il a été testé ces dernières années, notamment à Stockholm, dans la capitale du pays. Mais l’objectif affiché était surtout de protéger la police, notamment dans des quartiers difficiles où elle était visée par des lancers de pierres, expliquait alors un responsable de la police de Stockholm.

Sur le plan disciplinaire. C’est une unité spéciale de la police nationale suédoise, le « Särskilda utredningar » (SU), qui est chargée d’enquêter sur toutes les infractions imputables à la police. « Tout policier soupçonné ou notifié d’une infraction voit l’affaire dans laquelle il est impliqué transmise au SU, quel que soit le lieu et peu importe que le policier ait été ou non en service », résume d’ailleurs une note du Sénat qui étudiait les systèmes comparables à l’IGPN au niveau européen.

« Le SU est également compétent pour les affaires concernant des stagiaires policiers en formation, des juges, des procureurs, des parlementaires et autres groupes relevant de l’organisation judiciaire et du pouvoir de l’État », poursuit la note. Le lancement d’une enquête et sa supervision se font par des procureurs spéciaux qui ont la possibilité de déclencher, ensuite, des poursuites. Dans le cas où il n’y a pas de poursuite en justice, le dossier est transmis à la police, en interne, pour éventuellement invoquer des sanctions disciplinaires ou des réorganisations au sein d’une agence.

Réforme de l’IGPN : à quoi ressemblent les «polices des polices» à l’étranger ?

Alors que Gérald Darmanin s’est dit favorable à un «toilettage» de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), plusieurs modèles existent à l’étranger pour assurer l’indépendance et l’impartialité du contrôle.

Par Coline RenaultPublié le 02/12/2020 à 11:22, mis à jour le 02/12/2020 à 15:28

https://www.lefigaro.fr/actualite-france/reforme-de-l-igpn-a-quoi-ressemblent-les-polices-des-polices-a-l-etranger-20201202

“La question à laquelle chaque démocratie doit faire face est : comment assurer, institutionnellement, l’impartialité du contrôle ?”, s’interroge lespécialiste des rapports police et population et chercheur au CNRS Sebastian Roché. Les organismes de contrôles, regroupés internationalement au sein de l’ICPAN ( Independant Police Complaints Authority Network), se répartissent en deux philosophies. Les contrôles externes, principalement dans les pays anglo-normands, se font via des autorités indépendantes, ou sous contrôle du parlement ou du ministère de la justice. Les modèles continentaux, hérités de l’époque napoléonienne, reposent sur un contrôle interne à la profession. « Mais tout cela est aujourd’hui brouillé», nuance Jacques de Maillard, professeur de sciences politiques et auteur de «Polices comparées» (Éditions L.G.D.J). La plupart des pays, à l’exception peut-être de l’Italie, se sont dotés d’un mécanisme de contrôle indépendant plus ou moins efficace, assuré en France par le Défenseur des droits. «Il faut prendre en compte certes la composition et l’indépendance de ces organismes, mais aussi leurs effectifs, leur modernité, leur transparence…»

Au Royaume-Uni, aucun policier parmi les enquêteurs

Ainsi, le Royaume-Uni s’appuie pour réaliser ses enquêtes sur l’Independent Office for Police Conduct. Cette administration assure au Royaume-Uni un contrôle des forces de l’ordre totalement externalisé. Si son directeur est nommé par le ministère de l’Intérieur, il ne peut toutefois pas avoir un jour exercé comme policier. Les enquêteurs qu’il nomme n’ont pas travaillé dans ce corps de métier: il s’agit de juristes, de fonctionnaires, d’avocats… L’IOPC doit d’ailleurs rendre un compte annuellement au Parlement. La Belgique bénéficie d’un organisme équivalent : le Comité P, qui répond au Parlement. Cette administration extérieure qui se présente comme «au service du pouvoir législatif afin d’assurer ce dernier dans son contrôle du pouvoir exécutif», a à sa tête un magistrat désigné par la chambre des représentants. «Certains des agents sont des anciens policiers, mais ils ne répondent plus, tant qu’ils travaillent pour le comité, au ministère de l’intérieur ou à la direction de la police», note Sebastian Roché.blob:https://sebastianroche.wordpress.com/d5dda89c-d03e-43d2-a692-771974facf12https://acdn.adnxs.com/dmp/async_usersync.html

La figure morale de l’Ombusdman

Beaucoup de pays, à l’instar de la Finlande, du Danemark, de l’Irlande et de l’Irlande du nord se sont dotés d’un «Ombudsman» : une autorité extérieure et indépendante chargée d’assurer l’enquête des irrégularités des forces de l’ordre. Une autorité similaire à celle qui existe en France à travers la figure du défenseur des droits«Mais ils n’ont pas du tout la même marge de manœuvre. En France, il s’agit d’un rôle purement consultatif. Claire Hédon propose des sanctions, mais ne peut en décider», explique Sebastian Roché. La plupart des «Ombudsmans» n’ont d’ailleurs pas non plus de pouvoir de sanction, mais leur légitimité de longue date leur donne un rôle effectif, explique le sociologue: «Ce sont des mécanismes de contrôle externe ancien. Des autorités morales dont les préconisations sont très écoutées et respectées». En Finlande, l’organisme est elle-même chargé d’engager les procédures judiciaires et d’ordonner les poursuites.

En Allemagne, il n’existe pas de contrôle centralisé et fédéral. Chaque état a son propre système d’enquête interne. Ainsi, trois États ont des «Ombudsman». D’autres Länder, en revanche, délèguent l’enquête aux procureurs et aux autorités de police locales. En revanche, le contrôle des forces de l’ordre s’effectue, selon Sebastian Roché, sous l’égide d’une autorité judiciaire très forte dans la figure de la Cour Constitutionnelle. «La Cour constitutionnelle de Karlsruhe encadre de façon très stricte les droits des citoyens, et fixe un cadre juridique très fort pour permettre aux juges d’évaluer l’action de la police», affirme Sebastian Roché.