D’une démocratie à une autre, les systèmes d’enquête et d’audit de la police – et de ses dérives – varient largement.
https://www.leparisien.fr/faits-divers/etats-unis-allemagne-royaume-uni-comment-la-police-est-evaluee-et-sanctionnee-a-l-etranger-29-11-2020-8411177.php
Échauffourées en marge de manifestations, interpellations violentes, délogements de campements… En France, à chaque manquement présumé des forces de l’ordre, l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN) est sollicitée pour enquêter et délivrer des propositions de sanctions selon ses résultats. Récemment, elle a notamment été saisie après la diffusion d’une vidéo montrant le passage à tabac d’un producteur de musique et l’évacuation violente de migrants de la place de la République à Paris.
Mais les résultats de ses travaux font souvent l’objet de reproches : parce qu’elle est sous l’autorité de la Direction générale de la police nationale (DGPN), l’IGPN, qui est composée de policiers, est fréquemment accusée de manquer d’indépendance dans son travail d’enquête.
Cette « police des polices » à la française n’est d’ailleurs pas le seul système à être visé par des critiques. Dans les autres démocraties du monde, les procédés de surveillance et d’évaluation de la police varient largement, que ce soit dans les moyens alloués pour un contrôle sur le terrain ou dans le degré d’indépendance accordé aux autorités qui peuvent auditionner et enquêter sur la police. Voici quatre exemples.
Aux Etats-Unis, beaucoup de moyens mais peu de discipline
Sur le terrain. Une bonne partie des forces de l’ordre américaines est équipée d’au moins un système d’enregistrement, selon une étude menée par le ministère de la Justice américain en 2018. Elle y dénombrait, en 2016, qu’au moins 47 % des stations de police étaient équipées de caméra-piéton. 69 % disposaient de caméras sur les tableaux de bord des voitures de police, et 38 % avaient des enregistreurs audio. L’écrasante majorité de ces stations avaient au moins utilisé une de ses caméras piétons durant l’année où l’étude a été menée.
Sur le plan disciplinaire. Contrairement à la France, il n’existe pas de grande institution nationale chargée d’évaluer et d’enquêter sur les éventuels mauvais agissements de la police aux Etats-Unis. C’est donc au niveau local que tout se fait, avec, notamment, des « bureaux des affaires internes », des « comités sur l’usage de la force », composés de policiers chargés d’enquêter sur leurs collègues après des dépôts de plainte.
Il existe également des comités civils, composés donc de citoyens, dont les pouvoirs sont limités. Ils peuvent seulement se prononcer sur une enquête faite en amont par la police après une plainte, en demandant de la recommencer ou de l’approfondir.
Ces comités et bureaux internes restent cependant imparfaits dans un pays où la question des violences policières est récurrente. « Ces trente dernières années, un consensus s’est formé sur le fait que les forces de l’ordre se confrontent rarement, voire jamais, aux problèmes d’usage excessif de la force, et n’entreprennent pas d’elles-mêmes des réformes considérables en interne », s’inquiétait déjà Merrick Bobb, directeur du Police Assessment Resource Center, un centre chargé d’évaluer les interventions de la police, en 2005. Depuis, les affaires de violences policières – parfois jugées racistes – continuent de s’accumuler, comme la mort de George Floyd en mai dernier, qui a déclenché une vague internationale de manifestations.
En Grande-Bretagne, des systèmes indépendants et plus transparents
Sur le terrain. Comme dans beaucoup d’autres pays, les policiers anglais et gallois (l’Irlande du Nord et l’Ecosse ont leur propre gouvernance) disposent de caméras-piéton les filmant sur le terrain. « Il y a même des études qui sont faites sur leur efficacité et leur utilité, par le chef de police de la force donnée, en partenariat avec l’université », développe Sébastian Roché, directeur de recherche au CNRS et auteur de « De la police en démocratie » (éd. Grasset, 2016).
Ces études ont notamment permis de voir que l’usage des caméras ne garantissait pas systématiquement un apaisement entre les populations et les policiers en intervention. « C’est probablement lié aux conditions d’emploi, à l’approche de la police, et à la formation des policiers », analyse le spécialiste.
Sur le plan disciplinaire. Le système anglais et gallois se compose en plusieurs strates, détaille Sébastian Roché. « Pour les petites affaires, ce sont les services de police qui enquêtent eux-mêmes, comme l’IGPN. Quand on parle de violences policières, de racisme, on a deux autres mécanismes : le HMIC (« Her Majesty’s Inspectorate of Constabulary », l’Inspection de sa Majesté de la police, en français), dépendant du ministère de l’Intérieur, et l’IOPC (l’Independent Office for Police Conduct, l’Autorité Indépendante pour la Déontologie de la Police, en français) », explique-t-il. « Le HMIC n’est pas assujetti au directeur des forces de police, il est par définition plus indépendant », ajoute-t-il.
L’IOPC l’est encore plus. « Il n’est pas rattaché au ministère de l’Intérieur. Il est dirigé par un magistrat, avec un conseil d’administration qui n’a pas de policier. Il est composé d’enquêteurs, de magistrats, d’anciens administrateurs dans des structures, ou encore des avocats », explique Sébastian Roché. L’IOPC se distingue aussi par sa transparence : cette autorité rend toutes ses données accessibles en ligne, qu’il s’agisse ou de statistiques annuelles ou de rapports sur des cas particuliers. Ces derniers peuvent être ensuite transmis à la justice, comme en France.
En Allemagne, des enquêtes au niveau fédéral
Sur le terrain. Depuis 2013, l’usage de caméras-piéton est testé ou déployé dans la majorité des états allemands et de leurs polices locales, ainsi qu’au niveau de la police fédérale.
La loi permet aussi aux citoyens de filmer l’action des policiers. « En Allemagne, les policiers ont les mêmes droits que les citoyens, ni plus ni moins », développe Sébastian Roché. « Ça veut dire qu’ils ont un droit à l’image, qu’on ne peut pas diffuser les images qui montrent le visage des policiers sans leur accord. Mais la législation allemande a introduit une disposition concernant l’Histoire en train de se faire : si l’événement filmé peut avoir une portée historique, il n’y a pas de restriction de filmer ou de diffuser. » Une affaire de violence policière peut donc rentrer dans cette case.
Sur le plan disciplinaire. L’Allemagne, qui fonctionne sous un système fédéral, n’a pas de grande institution nationale en charge d’auditer et d’enquêter sur les interventions de la police et les plaintes de citoyens. Dans la plupart des Etats allemands, ces compétences relèvent des autorités locales. « Chacun des ministres de l’Intérieur de chaque état a un système de contrôle interne, comme en France », explique Sébastian Roché. « Il n’y a pas d’organisation indépendante à côté, ça n’existe pas, mais c’est en cours de discussion dans le pays. » Certains Etats, comme le Bade-Wurtemberg, le Schleswig-Holstein et la Rhénanie-Palatinat ont cependant un défenseur des droits qui peut être saisi par un citoyen qui estime être victime de la police.
Sebastian Roché explique cette différence par la confiance des Allemands dans le système juridique : c’est une Cour constitutionnelle qui fixe le cadre d’intervention et de déploiement de la police. Les parlementaires ont aussi le pouvoir de contrôler et d’enquêter sur ses moyens, rappelle le spécialiste.
En Suède, une unité spéciale au sein de la police
Sur le terrain. L’usage de caméras piétons n’est pas généralisé en Suède, même s’il a été testé ces dernières années, notamment à Stockholm, dans la capitale du pays. Mais l’objectif affiché était surtout de protéger la police, notamment dans des quartiers difficiles où elle était visée par des lancers de pierres, expliquait alors un responsable de la police de Stockholm.
Sur le plan disciplinaire. C’est une unité spéciale de la police nationale suédoise, le « Särskilda utredningar » (SU), qui est chargée d’enquêter sur toutes les infractions imputables à la police. « Tout policier soupçonné ou notifié d’une infraction voit l’affaire dans laquelle il est impliqué transmise au SU, quel que soit le lieu et peu importe que le policier ait été ou non en service », résume d’ailleurs une note du Sénat qui étudiait les systèmes comparables à l’IGPN au niveau européen.
« Le SU est également compétent pour les affaires concernant des stagiaires policiers en formation, des juges, des procureurs, des parlementaires et autres groupes relevant de l’organisation judiciaire et du pouvoir de l’État », poursuit la note. Le lancement d’une enquête et sa supervision se font par des procureurs spéciaux qui ont la possibilité de déclencher, ensuite, des poursuites. Dans le cas où il n’y a pas de poursuite en justice, le dossier est transmis à la police, en interne, pour éventuellement invoquer des sanctions disciplinaires ou des réorganisations au sein d’une agence.