Police: la fin de l’@INHESJ et de l’@ONDRP ou le fantastique besoin d’ignorance

L’institut des Hautes Etudes de la Sécurité Intérieure et de la Justice est enfin supprimé. Ouf. La parenthèse ouverte avec la création de l’IHESI en 1989, est enfin refermée. Soulagement.

Se priver de réfléchir sur la police, de l’outil pour ce faire, le risque est là. Equipé de l’ONDRP en son sein, l’INHESJ avait tant bien que mal développé des formations ouvertes aux non policiers (les fameux « faux experts »), aux différents secteurs publics et privés concernés, aux collectivités locales. Cette ouverture avait été prise comme modèle. Le temps de la fermeture est arrivé. Et L’ONDRP avait développé les enquêtes sur les victimes avec l’INSEE, prenant la suite et amplifiant les premières enquêtes nationales conduites par le Cesdip, un laboratoire du CNRS. L’ONDPR avait régulièrement publié les chiffres « officiels » (et toujours eu à coeur de préciser leurs limites maintenant mieux connues), et analysé sous divers angles les enquêtes de victimation. Cette enquête était indépendante des prises de plaintes, trop soumises aux instructions visant à faire baisser la délinquance lorsque le ministre en avait besoin, sans doute cela n’est-il pas jugé très utile en hauts lieux. Les enquêtes de victimation menées avec l’INSEE sont elles aussi supprimées dans leur forme actuelle, alors qu’elles constituaient un des rares points de « l’orientation client » sur lesquels la police française n’était pas en retard en Europe : elles permettaient une meilleure connaissance de la vraie délinquance, elle faisait parler les victimes, elles donnaient aux citoyens l’occasion de dire ce qu’ils pensaient des services de police lorsqu’ils allaient porter plainte.

1989, c’est la date historique d’impulsion de la réflexivité dans la police : l’institut des hautes études de la sécurité intérieure voit le jour, l’IHESI. J-M Erbès en est le directeur. Dominique Monjardet le conseiller scientifique. On ambitionne en haut lieu de permettre aux cadres de la police réfléchir sur leur métier et pas seulement de savoir réagir vite (voir le 25eme anniversaire célébré par M. Valls, il y a quelques années:  https://inhesj.fr/sites/default/files/fichiers_site/inhesj/discours_c_schott_25ans.pdf). Trente ans plus tard, l’heure n’est plus au badinage. Mais pourquoi donc faire réfléchir des cadres de la police à ce qu’ils font ? La page est définitivement refermée. Il est plus simple de créer des faux centres de recherche, sans « leading academic » (personnalité scientifique peut-on traduire en français), sans les sciences sociales, et sans budget de recherche. Window dressing disent les anglais. Formation? Les syndicats de commissaires ne sont-ils pas les mieux placés pour définir la pédagogie ? La société de la connaissance est en marche.

Certes, il y a longtemps que l’INHESJ a été sommé de tourner ses yeux vers d’autres objets que la police, la réflexion pouvant certainement nuire à son bon fonctionnement. Mais, au moins pouvait-on compter sur une certaine forme d’indépendance dans l’analyse de la délinquance et de la criminalité, qui s’était nettement professionnalisée, et étendue. M. Castaner est prêt à mettre tout à plat et à réfléchir en matière de maintien de l’ordre, mais il le fait en sélectionnant ses « vrais experts » inconnus des podiums universitaires, c’est plus prudent. Un nouveau modèle pour le futur ?

Le ministère de l’Intérieur écarte l’enquête sur les victimes, en accord avec le ministère de la Justice: l’argent sera mieux utilisé ailleurs. Et dans le même élan, ils suppriment l’INHESJ. Si toutes ces décisions sont confirmées – on peut toujours espérer que certains morceaux seront sauvés – alors il faudra bien en conclure que le besoin d’ignorance est érigé au rang de priorité nationale en matière de police. Gâchis. Recul pour la connaissance. Cohérence.

Evidemment, il y a de bonnes raisons à ces choix : en matière de police, tout va bien. Pas de conflictualité (la crise des gilets jaunes, la mobilisation pour le climat, où ça?), un modèle de maintien de l’ordre envié par toute l’Europe (deux morts et près de 30 mutilés en moins d’un an au cours des opérations de police, le record), et un terrorisme sous contrôle mais qui se niche dans le renseignement la Préfecture de Police (mais qui pense qu’on a besoin savoir analyser la radicalisation?). Police et connaissance ? Un non sujet. Police et formation ouverte ? un oxymore.