« Nous sommes dans un rapport de confrontation et de surenchère »

Le Figaro, propos recueillis par Jean Chichizola

Publié le 01/11/2018.

INTERVIEW – Alors que l‘uniforme est plus que jamais pris pour cible, le spécialiste de l’analyse comparée des polices Sebastian Roché estime qu‘il faut se concentrer sur la recherche d’une amélioration de la qualité des relations entre les forces de l’ordre et la population.

Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS, spécialiste de l’analyse comparée des polices. Enseignant à Sciences-Po Grenoble et à l’École Nationale Supérieure de la Police. Il a été conseiller technique pour les Nations unies et la Commission Européenne (Turquie, Tunisie). Auteur de “De la police en démocratie” (Grasset).

LE FIGARO. – Cocktail-molotov, tirs de mortiers, bouteille d’acide… pourquoi les policiers ne font-ils plus peur aux délinquants ?
Sebastian ROCHE. – Parce que nous sommes dans un rapport de confrontation et de surenchères. La stratégie officielle, qui repose sur l’usage de la force et la volonté de faire peur aux voyous, joue sur l’émotion et pas sur le calcul. De l’autre côté les voyous veulent aussi faire peur. Et savent commettre des actes graves et emblématiques comme l’attaque au cocktail molotov de Viry-Châtillon. Une action choquante qui marque les imaginations. Il faudrait pouvoir sortir de cette spirale.

En attendant les attaques contre le forces de l’ordre se multiplient…
Menacer de mort un policier ou n’importe qui d’autre d’ailleurs est bien sûr inacceptable. Tuer ou blesser un policier est un acte gravissime qu’il faut punir sévèrement. Si l’on regarde les statistiques, on n’observe toutefois pas de tendance à l’aggravation de la situation en termes de policiers tués en mission et en service. Selon l’association Victime du Devoir – Police Hommage (policehommage.blogspot.fr), il y a aujourd’hui beaucoup moins de policiers tués en service que dans les années 80. Ce qui est bien sûr déjà trop. Mais crier au loup est dangereux et parler d’aggravation plutôt que d’une amélioration pose problème.

Pour répondre aux agressions du quotidien, la solution passe-t-elle par une augmentation des moyens ou une meilleure protection juridique ?
Des équipements comme les gilets pare-balles ont été réclamés. Ils sont la plupart du temps inutiles car nous ne sommes heureusement pas dans le cas d’une armée en campagne ! Ils posent déjà des problèmes d’usure, de disponibilité, d’hygiène. Les dotations en armes longues, qui peuvent aussi se justifier dans un contexte terroriste, posent d’autres problèmes : complexes, elles sont souvent mal utilisées par des personnels mal formés. Attention à l’idée naïve qu’une arme plus lourde vous assure une meilleure protection. Cela peut aussi créer une spirale de surarmement comme au Mexique ou au Brésil où les «Narcos» font face aux polices fédérales. Sur le plan juridique, le rapprochement recherché entre policiers et gendarmes en matière de légitime défense semble plutôt un moyen de calmer la grogne des policiers. Sans vrai changement car le juge continuera à trancher au cas par cas en suivant la jurisprudence de la CEDH.

Quels autres moyens pour sortir de cette «spirale de violences»  ?
Dans les pays qui font mieux que nous, comme le Royaume-Uni, l’Allemagne ou le Danemark, l’accent est mis sur la recherche d’une amélioration de la qualité des relations entre les forces de l’ordre et la population. Or nous avons une police française qui a des coûts comparables au à ceux du Danemark et des taux confiance et de légitimité dans de la population au niveau, très médiocre, de la Grèce… Nombre de policiers et de gendarmes comprennent les enjeux et il existe des initiatives locales pour mieux faire, tolérées. Mais nous sommes dans un État à la police nationale centralisée et si le ministère de l’Intérieur ne bouge pas, rien ne changera vraiment ne se fait. Il n’y a pas encore de volonté de de créer une doctrine et une stratégie de recherche de la confiance. Or l’enjeu est important : d’abord parce que les policiers cherchent un sens de à leur action et que cette recherche d’une meilleure relation avec le public pourrait le leur apporter. Ensuite parce qu’après avoir travaillé sur des quartiers défavorisés de Lyon, Grenoble, Marseille ou Aix-en-Provence, j’ai constaté que mesuré combien la police est détestée bien au-delà du cercle des délinquants. Si l’on savait relever cet enjeu, regagner la confiance de la masse des jeunes et de la population, les policiers seraient mieux informés et plus soutenus.