La manière dont la police a, durant l’attaque du Bataclan traité les appels d’urgence, communiqué avec les otages et enfin informé les victimes et leurs familles après les attaques a été illustrée par des témoignages poignants. Les histoires vécues pointent un mal endémique: la difficulté à communiquer avec le public pour bien le servir.
La presse a couvert des récits de victimes du Bataclan le vendredi 13 novembre 2015 devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale qui se tient en ce moment. Un point en particulier mérite l’attention, le témoignage concernant les appels d’urgence à la police. Extraits du JDD (16 février 2016) d’Atlantico (15 février 2016). Lors du troisième contact avec Police secours, la conversation se passe mal : « La personne m’a demandé de parler plus fort. Je lui ai expliqué que j’étais otage et que le terroriste était toujours derrière la porte. La policière m’a répondu ‘d’accord, mais vous êtes en train de bloquer la ligne pour une réelle urgence. » Puis, « La policière s’est énervée et m’a raccroché au nez en me disant ‘tant pis pour vous' », selon Atlantico. Elle ajoute: « L’idée n’est pas de pointer du doigt des institutions. Il y a des gens qui gèrent plus ou moins bien l’urgence ». Concernant les forces d’intervention, et notamment la BRI, la même personne explique que les agents ne communiquaient pas avec les otages, qui n’avaient aucun moyen de savoir qui était de l’autre côté de la porte, les policiers ou les terroristes : « Cela a été continuellement à nous d’aller chercher l’information ». N’est-il pas curieux là encore qu’il n’y ait pas un protocole de communication qui soit appliqué, d’autant que le 17 a pu recueillir les coordonnées téléphoniques pour les appels entrants et sait que des otages sont détenus?
La question que le témoignage soulève est évidemment celui de la préparation de la policière, et de tous les agents qui reçoivent les appels, mais aussi des groupes d’intervention comme la BRI, de leur information par la hiérarchie du risque et de leur formation pour interagir avec le public, nécessairement en détresse dans ces moments. On a entendu le Premier Ministre après les attentats de janvier 2015 et ceux qui touchent l’Isère (un chef d’entreprise décapité) prévenir que la menace était et reste très élevée. Le dimanche 28 juin de « guerre de civilisation » et mis en garde contre une « menace terroriste majeure » qu’il faudra combattre « dans la durée », « c’est au fond une guerre de civilisation ».
Comment dans ces conditions se fait-il que les appels au 17, la voie par laquelle l’urgence pour les citoyens ordinaires remonte vers les services de police soit si peu considérée dans le cas d’espèce ? Lorsqu’un appel d’urgence mentionne les mots otage et terrorisme, il semble raisonnable d’attendre dans le contexte où on se prépare à « la guerre avec le terrorisme » une attention soutenue. Avec une telle explicitation de la demande lors de l’appel, il semble irréel qu’elle ait pu être traitée comme l’otage du Bataclan le raconte : la policière » m’a répondu que j’étais en train de bloquer la ligne pour une réelle urgence », selon Atlantico. C’est véritablement incroyable. Et que penser du fait que la BRI ne cherche pas à communiquer avec les victimes désemparées, mais joignables ? Que comprendre ? On a l’impression de retrouver, avec l’effet loupe de la violence de masse et du drame intense, la faiblesse française de la police, sa faible capacité à communiquer avec les citoyens ordinaires, son talon d’Achille. D’un côté, les responsables font sensation avec des formules chocs sur les plateaux TV et radio, d’un autre, la réalité de la qualité du service policier passe par des services bien gérés et des agents suffisamment préparés au risque. Si on a eu plus d’intervention des hommes politiques que nécessaire, il ne semble pas qu’il en ait été ainsi sur le volet pratique en termes de préparation à gérer la dimension humaine des attaques (sans parler du travail des services de renseignement qui est un autre sujet).
Selon le JDD, à plusieurs reprises, Caroline tente de contacter la police. Au début, le réseau est saturé. Pour avoir des informations, « il a fallu que j’appelle ma maman à Nancy pour qu’elle appelle la police de Nancy et leur communique les informations ». Sur le plan technique, ma ligne de raisonnement est la même. S’il était si clair qu’on devait se préparer au pire, pourquoi les responsables politiques n’ont-ils pas agi pour que les services soient prêts ? Entre janvier (Charlie Hebbo et l’hypermarché casher) et novembre 2015 (le Bataclan), il se passe 10 bons mois. C’est pour le moins troublant, comment expliquer cela ? Les terroristes touchent des cibles symboliques (et souvent humaines), et la capitale d’un pays si elle ne concentre pas toutes les attaques est un lieu de choix. Je serai curieux de savoir quelles mesures ont été prises à la Préfecture de Police pour anticiper le volume important d’appel que génère nécessairement une attaque terroriste, a fortiori massive et pouvoir les traiter. De même que les médecins font de la médecine d’urgence et ont des protocoles précis, quels sont ceux qui ont été pensés et préparés à la PP ? Y en a-t-il d’ailleurs?
Après les attentats, le ministère semble également peu empressé de prendre en charge les victimes, au delà des gestes médiatiques de compassion. « Aujourd’hui, en tant que victime rescapée, on n’a plus envie, on est épuisés d’aller chercher l’information quotidiennement, continuellement… », conclut le témoin. La communication avec le public, talon d’Achille de la police?
Si le gouvernement avait voulu savoir et comprendre, il aurait mandaté une commission spéciale dans ce but. Mais, de même qu’en 2005 M. Sarkozy avait préféré, à deux ans de l’échéance présidentielle, mettre les émeutes sous le tapis, M. Hollande préfère, à deux ans de la prochaine élection, faire de même. Au moins, cette fois, y a-t-il plus qu’une simple mission d’information du côté des parlementaires, et une commission d’enquête s’y intéresse-t-elle. Espérons qu’elle va se pencher sur la communication avec les citoyens en période de crise et hors crise et la considérer comme un des éléments essentiels de la confiance, mais également d’interventions réussies, ce qu’elle est indiscutablement.