Cibles molles du terrorisme : la discrimination comme solution ?

Est-on entré dans un nouveau cycle terroriste avec l’attaque dans le Thalys survenue le 21 août ? Evidemment, il est trop tôt pour le savoir. Mais, en s’attaquant à une cible molle, le train, plutôt qu’une cible dure comme l’avion mais dont la chute a un potentiel de terreur (et de mort) plus élevé, ou encore comme des personnalités ou bâtiments officiels, on a le sentiment qu’une sorte de voie nouvelle est empruntée. Déjà les attaques en Isère avec la tentative de faire exploser une usine chimique façon « opération martyr » suivant le procureur, et les commentateurs avaient noté qu’il s’agissait d’une cible inhabituelle. Mais, on se souvient qu’à Londres ou à Madrid, ce sont un bus ou une gare qui avaient été frappées.

Les cibles molles sont légions, les établissements Seveso, les lieux de cultes, les écoles, les gares (3000) maintenant les trains (15000). On ne peut évidemment poster des militaires partout. Le président de la SNCF, Guillaume Pépy a été explicite lorsqu’il a déclaré : « je crois que la question d’étendre le système des aéroports aux gares, aujourd’hui, on ne peut pas dire que c’est réaliste ». Et d’expliquer « « Il faut juste rappeler les chiffres : le train en France, c’est 20 fois plus de trafic que l’aérien. Vous voyez ce que sont les mesures de contrôle d’embarquement dans les aéroports, il faudrait faire 20 fois plus dans le train. Ce n’est pas une piste sur laquelle il faut compter ».

Plus que celle du président de la Sncf, c’est la réaction des pouvoirs publics qui a de quoi inquiéter, en particulier quand on sait que le sentiment d’injustice peut motiver des actes de violences en alimentant une rhétorique victimaire. Invité sur Europe 1 à réagir à l’attaque, Alain Vidalies propose de renforcer les fouilles aléatoires puisqu’on ne peut aisément contrôler tous les passagers des trains et les entrées dans les gares. Interrogé sur le caractère potentiellement discriminatoire de tels contrôles, le secrétaire d’Etat dit entendre que « les fouilles aléatoires ça risque d’être discriminatoire, et bien moi je préfère qu’on discrimine effectivement pour être efficaces, plutôt que de rester spectateurs ». (on peut écouter le verbatim sur le site de divers médias, par exemple : http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/citations/2015/08/24/25002-20150824ARTFIG00064-alain-vidalies-prefere-la-discrimination-au-risque-d-un-attentat.php ) Impressionnant d’impréparation. Cela révèle, selon moi, le caractère d’impensé politique de la discrimination en France, et aussi de ses effets, et cela au plus haut niveau de l’Etat comme au plus bas niveau (puisqu’il y a un haut niveau il doit y avoir un bas, non ?). Evidemment une vive discussion s’en est immédiatement suivie. Etre soutenu par Eric Ciotti a du rassurer le ministre.

Quand on discrimine efficacement, on discrimine quand même. Or, on ne peut appeler dans le même temps les citoyens à la vigilance, à la mobilisation contre le terrorisme, et ignorer l’existence des différentes communautés qui existent en France, le sentiment d’appartenir à ces collectifs, et le fait que les ciblages construisent l’identité des groupes minoritaires qui les subissent. Soit on veut construire une forme de cohésion nationale, et on recherche les moyens d’inclure ses composantes – et en tous les cas on évite la stigmatisation – soit on cherche l’affrontement inter groupes, et on oublie que la cohésion ne peut se construire que sur un sentiment de justice, et celui ci trouve ses racines dans les interactions ordinaires avec ceux auxquels on confie le maintien de la tranquillité publique et de la sécurité.

l’Etat panoptique

On ne sait plus de quoi il faut s’inquiéter le plus. Après une loi sur le renseignement qui marginalise les juges et le parlement dans le contrôle des services, des voix non négligeables laissent penser que la tendance à l’invasion de la vie privée n’est pas au bout de sa course. Le procureur de Paris F. Mollins co signe une tribune (dont Le Monde se fait l’écho) qui explique que les enquêteurs ont un droit d’accès aux données privées de suspects (et même au delà comme avec la LSR …) en vertu d’un « équilibre entre le droit à la vie privée des individus et le droit des populations à la sécurité ». On aimerait en savoir plus sur ce supposé équilibre valide dans des pays aussi différents que la France, les États-Unis l’Espagne et le RU… Et sur les tendances qui l’affectent. On virera à l’Etat panoptique si on n’arrête pas le mouvement. Les juges devraient le sentir. Mais les procureurs français sont -ils des juges? Cet « équilibre », affirment les magistrats, a été « fondamentalement renversé par deux entreprises de la Silicon Valley ». Et si les entreprises répondaient avant tout aux pouvoirs que les gouvernements accordent aux services de renseignement en rendant la surveillance de masse légale sans clarté dans la définition des motifs, des territoires et en l’élargissant au delà du suspect lui  même ? Ce ne serait pas le moindre paradoxe que de voir les mega firmes nous aider à défendre nos droits. Tant que cela les sert ?