Interview. La dépêche, publié le 19/01/2019
Sécurité – Sebastian Roché, Directeur de recherche au CNRS, politologue et auteur de «De la police en démocratie».
Quelle est la problématique avec les lanceurs de balles de défense (LBD) ?
C’est un problème de santé publique car l’Etat met en danger la vie des citoyens. Mais ce n’est pas qu’un débat français. On évoque sa dangerosité vue l’abondance de son usage. Et donc l’abondance de blessés. Il y a au moins une quarantaine de personnes mutilées depuis deux mois. Car la particularité des blessures du LBD est qu’elles sont irréversibles. Quand vous perdez votre œil, il n’y a pas de retour en arrière. Cela ne se compare pas avec des jours d’ITT. Des collègues de Berkley, aux Etats-Unis, ont fait une méta-analyse et sont arrivés à des conclusions proches de celles du Défenseur des droits en France. À voir les blessures, pour eux, cette arme n’est pas adaptée au maintien de l’ordre.
Pourquoi de tels débordements ?
Le LBD est normalement une arme défensive mais quand on voit que des journalistes reçoivent des tirs, on se doute bien qu’il peut y avoir d’autres utilisations. On n’a pas encore vu un journaliste attaquer un policier avec sa plume. Donc il y a beaucoup de tirs défensifs, mais aussi des tirs offensifs. Depuis les années 2000, un certain nombre de pays se sont posé des questions pour s’améliorer. En France, on a les fondamentaux mais on ne réfléchit pas sur le modèle, on réfléchit sur le côté technique, sur les outils, en augmentant la qualité des armes, des moyens. Il doit également y avoir un souci dans le renseignement. Car quand la police est dépassée et peut ainsi avoir besoin d’utiliser tout son arsenal, c’est qu’elle a mal anticipé. Si c’est le cas, c’est que les services de renseignements n’ont pas été efficaces.
Quelles sont les alternatives au LBD ?
L’arme est la conséquence d’un choix tactique et d’une philosophie de maintien de l’ordre. En Allemagne par exemple, on utilise beaucoup les canons à eau pour empêcher la foule d’approcher des endroits protégés. Mais il faut surtout trouver un équilibre entre «ordre» et «liberté». Cela ne passe d’ailleurs pas forcément par l’équipement. La doctrine de désescalade est née de cette recherche. Il faut chercher à diminuer l’intensité de la confrontation. Cela a amené à fragmenter l’idée de foule. Ensuite, on va guider les cortèges pour qu’ils restent en mouvement. En France par exemple, il y a eu un blocage à l’arc de Triomphe. Forcément, sans déplacement, cela crée des tensions, des conflits, des heurts et donc des blessés.