Interview réalisée par Julie Clair-Gobelet Journaliste à la Gazette des communes, Club Prévention Sécurité
Le ministre de l’Intérieur a annoncé le 15 août la mise en place de la police de la sécurité du quotidien « dès la fin de l’année ». Pensez-vous que cela soit réalisable ?
Le candidat Macron s’est engagé à faire cette réforme pendant la campagne. Il a donné un certain nombre de clés dans son programme. Tous ces éléments étaient présents, mais comme de manière disparate. On y retrouve les ingrédients classiques de la police de proximité : l’ancrage local de la police, la confiance de la population, l’articulation avec d’autres acteurs et la prévention.
Un tel projet est nécessaire, et très ambitieux. Je ne pense pas que l’on puisse prendre l’annonce de Gérard Collomb au pied de la lettre. Des segments vont certainement être lancés : des éléments de doctrine, avec un texte qui ne sera pas une simple liste de mesures, des propositions sur son suivi-évaluation, sur la relation avec les maires et avec la population. Et, probablement des tests dans certaines zones.
Mais la réforme ne peut pas être terminée en six mois, car elle a de très nombreuses implications en matière de formation, de réorganisation territoriale, de mutualisations police-gendarmerie pour absorber une partie des surcoûts…
Par quoi le ministre de l’Intérieur devrait-il commencer pour réussir cette réforme ?
C’est d’abord une bataille d’idées qu’il faut livrer qui va se gagner ou se perdre politiquement, pas au plan de l’application qui se fera progressivement et avec des essais-erreurs et donc des ajustements. Les conservateurs parmi les syndicats de police ou l’opposition sont déjà montés au créneau. Il faut donc trouver des appuis chez les policiers et dans la haute fonction publique. Pour cela il est nécessaire de convaincre sur le fond avant de préciser la stratégie et le calendrier. Les mots clés sont pour moi « police de qualité » et « égalité devant la police ».
Entre 1997 et 2001, la bataille de la police de proximité a été perdue par le Parti Socialiste dans l’opinion et les médias et non sur le terrain. Jospin et Chevènement n’ont pas su convaincre. Des erreurs pratiques ont également été commises, notamment concernant la taille des découpages territoriaux. Quand on découpe le territoire en trop petits secteurs, il y a trop d’implantations immobilières et des problèmes de gestion des personnels. Si au contraire on crée de trop gros, on n’arrive pas à trouver l’interface avec la population. La difficulté est donc de trouver la bonne échelle.
L’évolution de la relation entre police et élus locaux est-elle une condition essentielle de réussite ?
La police de proximité n’a un sens que si la police rend des comptes localement. La rendre plus proche du terrain ne consiste pas seulement à mettre des agents qui patrouillent, mais à l’articuler aux priorités locales, à déterminer son action par rapport à elles, et à lui faire expliquer son action. Si la police de proximité consiste à recevoir des ordres de Paris, des directives nationales, ce n’en est pas une et elle est alors vouée à l’échec.
Il faut absolument trouver les modalités pour faire évoluer la relation avec les élus locaux, mais aussi avec la population. Le partage d’information a progressé ces dernières années, mais si l’on veut réussir il faut aller plus loin, avec une obligation légale à prendre en compte les préoccupations locales et des mécanismes pour prendre en compte les priorités, les attentes et la satisfaction des usagers.
Quels sont les moyens nécessaires ?
Changer les implantations immobilières demande des moyens. Il faut choisir un niveau de quadrillage du territoire pas trop serré. En 1997, les maires avaient été mis à contribution pour beaucoup d’infrastructures. Le partage des coûts avec les élus locaux est une piste. Mais, on peut aussi penser à utiliser la technologie pour que les agents aient leur bureau dans leur poche et aillent à la rencontre des usagers.
Il faudra bien faire des économies dans la police, comme ailleurs. La tendance à l’augmentation continue du budget n’est pas tenable. Il faut regarder l’organisation des services eux-mêmes pour trouver des économies.
Le maire de Sevran, Stéphane Gatignon, a proposé de fusionner polices municipales et nationale. Cela peut-il être une solution pour réussir la police de proximité ?
Il est difficile de faire la police de proximité avec les forces de l’État uniquement. Si maintenant on veut fusionner forces d’État et forces locales, c’est un second chantier. Comment traiter les communes qui n’ont pas de police municipale ? Comment intégrer les deux chaînes de commandement, municipale et préfectorale ? Quel mécanisme de gouvernance mettre en place ? C’est très compliqué. C’est une proposition qui mérite d’être discutée, mais qui ouvre sur un océan d’interrogations.
Comment analysez-vous le changement d’expression, de « police de proximité » à « police de la sécurité du quotidien » ?
Les conseillers d’Emmanuel Macron ont sans doute trouvé plus confortable de ne pas reprendre le terme de police de proximité qui est associé à l’expérience de la gauche et ont préféré prendre un terme neutre, moins connoté.
C’est dommage de ne pas mobiliser la marque « police de proximité ». Il aurait été préférable de reprendre ce terme que tous les Français comprennent, auquel ils sont très majoritairement attachés, comme on le voit dans de nombreux sondages, tout comme les élus locaux.
Pensez-vous que, contrairement à l’expérience menée de 1997 à 2001, cette police de proximité peut réussir ?
Je crois que le président de la République a besoin de réussir cette réforme, de montrer qu’il est capable de réformer l’Etat. Le modèle actuel de police est dépassé, il a montré ses limites. De plus, une différence notable par rapport à 1997 est la prise de conscience de l’enjeu de la discrimination ethnique par la police, et le fait qu’Emmanuel Macron l’ai abordé sans fard pendant la campagne.
Nous savons que nous pouvons faire beaucoup mieux en regardant la police dans les pays voisins. J’ai envie d’y croire.