Macron au Figaro: décryptage. Leadership réduit à être un miroir des syndicats majoritaires. Pas d’ambition de réforme. Pas de disruption.

Le président Emmanuel Macron a donné une longue interview au quotidien Le Figaro, publiée le 19 avril 2021. Elle manifeste des symptômes pour le moins alarmants. Une dépendance aux syndicats de police et une reprise d’idées anciennes qui n’ont pas montré la preuve de leur efficacité pour lutter contre la délinquance. Le tout assorti d’erreurs d’interprétation des faits. 

Si la disruption est au cœur des slogans du Président Macron, en matière de police c’est plutôt le conservatisme et ses slogans éculés qui reviennent en force, copier coller presque mot pour mot de ceux de Nicolas Sarkozy. Macron : « Je tiens à ce que la police aille partout », l’insécurité « elle touche d’abord les plus modestes ». Sarkozy : « La sanction, la répression, la punition, il ne faut pas en avoir peur. Mon devoir, c’est de les mettre au service des plus faibles, des plus petits, des plus fragiles » (le 16 janvier 2003). La fascination pour une approche qui n’a permis ni de traiter la délinquance liée aux trafics de drogue, ni les cambriolages ou autres agressions interroge. Les « bons chiffres » avaient été obtenus grâce à d’habiles aménagements, dévoilés après son départ du ministère de l’Intérieur.

Les erreurs inquiètent par la méconnaissance de la réalité du fonctionnement de la police, en voici trois. 1. La minimisation des problèmes, qui est la ligne de défense historique d’une police qui ne veut pas et ne sait pas se remettre en question, s’aligner sur l’évolution des sensibilités : « Mais, « je ne valide pas le concept de « violences policières », (…) ni celui de « racisme systémique », parce que je ne valide pas la négation absolue des principes républicains ». Les preuves solides de la discrimination endémique par la police en fonction de la couleur de peur sont là, et cela fait 10 ans qu’on les mesure avec des outils précis. Et, le Président confond slogan électoral et vérité : de fait, il n’a fourni aucun élément de preuve de ses assertions. Et pour cause : l’administration ne s’y intéresse pas, et ne cherche pas à documenter ce qui est nié. Minimisation encore « Si dans tous les sondages, toutes les enquêtes de terrain, des jeunes vous disent qu’ils subissent des contrôles au faciès » nous dit-il. ? Les jeunes ne nous disent pas qu’ils subissent des contrôles au faciès : on calcule des taux de contrôle par groupe ethnique, et on observe que c’est le cas. Ce n’est pas un sentiment, mais la réalité des pratiques policières. Quant aux violences policières, le nombre de blessures irréversibles pendant les épisodes des gilets jaunes parlent d’eux-mêmes : la police française a le record d’Europe des mutilations. 

2. Confusion entre les effectifs de police et niveau de délinquance. « Chaque circonscription de police aura plus de policiers à la fin du quinquennat qu’au début ». Macron précise : « Ça rassure les gens, ça dissuade les délinquants ». Il n’existe pas de preuve d’un tel lien. Le nombre de contrôles d’identité n’a pas d’impact sur la délinquance de rue d’après les données disponibles. Les contrôles touchent à 95-97% ceux à qui on ne peut rien reprocher. Et, les synthèses de la connaissance les plus complètes échouent en effet à montrer que plus d’agents équivaut à moins de délits, et on comprend pourquoi : tout dépend du contenu de leur action. Et faute d’outils pour définir et piloter la qualité du service et encadrer mieux les actions des policiers, il est improbable que ce nouvel ajout de personnels change quoique ce soit. La même erreur est répétée pour les places de prisons. Les pays qui incarcèrent le plus ne sont pas les plus sûrs, mais les plus autoritaires. Les national les plus sûres sont celles qui ont développé un Etat social. Concernant le fait de rassurer les gens, les choses sont plus complexes : si la police fait des interventions le cœur de son action comme avec le « pilonnage » des lieux de deal, peut-on attendre qu’on ait plus confiance en elle ? La réponse est contre intuitive, et négative. Ce mode d’action discrédite la police pour une raison simple : les habitants constatent vite son inefficacité, et sont choqués par l’écart entre la force déployée, et parfois mal utilisée, et l’absence d’effet (https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/04/16/sebastian-roche-les-gens-croient-en-l-efficacite-de-la-police-lorsqu-ils-ne-la-voient-pas-agir_6077036_3224.html)

3. Le contrôle de la police par les caméras. Le premier élément, les caméras piétons : « Elles vont tout changer. Ce dispositif va inhiber les gens violents, parce que je peux vous garantir que quand vous vous savez filmé, vous réagissez différemment » et « c’est aussi un instrument destiné à prévenir les dérapages qui sont à sanctionner ». Le Président y voit un moyen de limiter les violences, mais ses conseillers n’ont pas fait l’effort de suivre le développement des recherches en la matière. Les attentes naïves d’effet positif systématique par les caméras portées par les policiers doivent être tempérées. D’abord, le ministère de l’Intérieur n’a fait aucune étude qui laisserait penser que ce sera effectivement le cas. Surtout, la plus synthèse internationale des études expérimentales disponibles sur l’effet des caméras portés par les agents révèle une très grande hétérogénéité des résultats au point que les auteurs concluent qu’on ne peut pas garantir l’effet que certains voudraient leur attribuer. A noter cependant, au crédit du Président, une seule innovation : « une délégation parlementaire chargée du contrôle de nos forces de l’ordre ». La France se singularisait par son parlement politiquement faible, et son absence d’organe dédié au contrôle. C’est une initiative intéressante à suivre.

Finalement, le plus inquiétant est de voir une autorité politique qui représente les électeurs à la remorque d’organisations professionnelles majoritaires qui défendent l’intérêt de leurs membres (et pas celui du public). Cela se traduit par des erreurs d’analyse : « ensauvagement » que le Président ne réfute pas, « désinhibition ». Pourtant, la réprobation morale de la violence et l’auto-contrôle des comportements violents n’est pas en question dans la société contemporaine, bien au contraire. Aucune explosion des homicides. Une réprobation de la violence (y compris contre les policiers) croissante se manifeste. Cela se prolonge par des erreurs de diagnostic du Président: « Les policiers, gendarmes, sapeurs-pompiers, élus sont les principales victimes de la progression de la violence dans notre société ». C’est évidemment faux. Il y a de moins en moins de policiers et gendarmes tués en mission, sur trente ans la décrue est spectaculaire. En revanche il y a de plus en plus de citoyens tués par la police, l’augmentation est troublante. Renverser la réalité à ce niveau, pour un Président, est pour le moins maladroit. Fake news présidentielle ? La dépendance aux syndicats est illustrée par la reprise des mots d’ordre de ceux qui font pressions sur les tribunaux et des courbettes en leur direction qui rythment l’interview. Ainsi, « il ne sert à rien de bander les muscles, en déployant des uniformes dans la rue si, derrière, la justice ne suit pas », et ce hors de toute démonstration par le Président que la justice ne fonctionne pas. Doit-elle d’ailleurs suivre la police, ou plutôt la diriger ? Ainsi, « C’est un combat pour la liberté, dont la condition première est la sécurité ». C’est un sophisme : à ce compte là, les régimes autoritaires garantiraient mieux les droits que les démocraties, puisque précisément, ils font de la sécurité (définie par le gouvernement) la base des droits politiques. Le régime chinois comme modèle pour la démocratie française. ? Voilà qui ne laisserait pas d’interroger.

La police n’a pas besoin de s’interroger sur ses violences, sa discrimination ethnique, sur ses modes d’action, sur ses conditions d’efficacité contre la délinquance. Les enjeux les plus importants, les modes d’action et le racisme et les violences policières ne sont pas reconnus comme problèmes méritant attention. La police a juste besoin de plus d’effectifs et que la justice envoie plus de personnes en prison. Pas de leadership autre qu’en miroir des syndicats majoritaires. Pas d’ambition de réforme. Quelle vision nouvelle pour la France ! Quelle programme disruptif !