La police de sécurité du quotidien s’apprête à entrer dans la phase d’expérimentation: “La police doit gagner la confiance des citoyens”

 

Promesse de campagne d’Emmanuel Macron, la police de sécurité du quotidien s’apprête à entrer dans la phase d’expérimentation.

Le décryptage du sociologue Sebastian Roché, spécialiste de la délinquance. Propos recueillis par Anne Vidalie, l’Express, 10 JANVIER 2018.

En 2018, les Français vont devoir se familiariser avec un nouveau sigle : PSQ. Trois lettres pour dessiner la future police de sécurité du quotidien promise par le candidat Macron. Pas question de ressusciter la police de proximité créée par Lionel Jospin en 1998 et supprimée par Nicolas Sarkozy cinq ans plus tard. « Toutefois, l’inspiration est la même, a souligné le président Macron en août dernier. Il s’agit de déployer une police mieux ancrée dans les territoires dont elle a la charge. » Ses concitoyens approuvent : selon un sondage publié le mois dernier par Le Figaro, ils sont 90 % à souhaiter que les forces de l’ordre soient plus à l’écoute de leurs difficultés et de leurs attentes.

« Servir le public, être proches des citoyens et leur rendre des comptes devient la norme pour les polices des pays les plus avancés de l’Union européenne », souligne le sociologue Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS, dans son livre De la police en démocratie (Grasset). Le 18 octobre dernier, le discours présidentiel consacré à la sécurité intérieure a esquissé les ambitieux contours de cette PSQ. Il s’agit de « déconcentrer davantage les politiques de sécurité en accordant plus d’autonomie aux échelons locaux », « redynamiser les partenariats locaux », « mieux analyser et prendre en compte les attentes », « mieux communiquer sur les résultats […], en rendre compte régulièrement à la population, développer davantage la participation citoyenne à l’action de sécurité ». A la clef : rien de moins qu’une « nouvelle doctrine » qui place « le service du citoyen au coeur du métier de gendarme et de policier » afin de « résorber la défiance qui s’est parfois installée dans certains quartiers ». La feuille de route dictée par le président a été tenue. Policiers et gendarmes ont été consultés par le biais d’un questionnaire auquel ont répondu 28 % d’entre eux. Syndicats, associations d’élus et chercheurs ont été écoutés par le ministère de l’Intérieur. Dans les départements, des consultations ont été organisées par les préfets. Place, désormais, à l’expérimentation, qui débutera au début de février dans une quinzaine de villes.

L’Express Deux policiers ont été roués de coups à Champigny (Val-de-Marne) la nuit de la Saint-Sylvestre. Les agressions contre les forces de l’ordre, mais aussi les accusations de violences policières, ont émaillé l’année 2017. La confiance entre la police et la population s’est-elle encore dégradée ?

Sebastian Roché La police française souffre d’une perte de légitimité, en particulier dans les zones défavorisées. En la matière, notre pays n’est pas bien classé du tout dans les comparaisons européennes. Le pouvoir politique n’a pas vraiment mesuré la crise de confiance entre les forces de l’ordre et la population. C’est à travers des événements comme celui que vous évoquez que, par moments, il en prend conscience. Les syndicats policiers, eux, affirment que leurs collègues ne sont pas respectés parce qu’ils ne sont pas assez craints. Ils confondent faire peur et mériter la confiance. L’Express Comment, dans ces conditions, la future police de sécurité du quotidien (PSQ) pourra-t-elle atteindre le but que lui a fixé le président Macron, à savoir « résorber la défiance »? S. R. L’autorité politique doit clairement formuler son objectif : oui, la police doit gagner la confiance des citoyens. Cette idée est portée par Emmanuel Macron et par le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb. Ce dernier met en avant une autre notion essentielle : la satisfaction des usagers. Le service rendu doit être de bonne qualité. Une bonne police est celle qui suscite l’adhésion de la population, pas celle qui multiplie les démonstrations de force. Cette approche est totalement nouvelle en France.

L’Express Justement, de quelle façon restaurer la confiance entre les forces de l’ordre et les citoyens ?

S. R. Tout d’abord, il faut définir ce qu’est une police de qualité. Nous devrions tous savoir quels services nous sommes en droit d’attendre : délai de traitement d’une plainte ou vitesse d’intervention, par exemple – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Ensuite, l’impartialité et l’équité sont de puissantes machines à produire de la confiance. Comment aimer la police quand on appartient à un groupe ethnique qui s’estime maltraité par elle ? Emmanuel Macron, au cours de la campagne présidentielle, a reconnu l’existence de discriminations dans les contrôles d’identité. Du bout des lèvres, certes, mais il l’a fait. Pour que la PSQ soit un succès, il est nécessaire qu’elle s’approprie cette notion d’égalité. Et qu’elle donne plus de pouvoir aux maires et aux citoyens.

L’Express Que cela signifie-t-il, concrètement?

S. R. Les préoccupations de la population doivent être recensées et prises en compte, qu’il s’agisse de l’itinéraire des enfants pour aller à l’école, de cambriolages, de véhicules vandalisés ou d’un trafic local de drogue. Aucun mécanisme, aujourd’hui, n’oblige la police à consulter les citoyens, ni à se préoccuper de leurs attentes. Il est impératif d’inscrire cette obligation dans la loi et de former les policiers à la mettre en pratique. A l’autre bout de la chaîne, il faut que les forces de l’ordre soient évaluées avant tout à l’aune de la satisfaction des gens, et non plus sur le nombre d’interpellations ou le taux d’élucidation. Ceux qui payent pour le service doivent pouvoir dire s’il leur convient, comme à la SNCF ou chez Novotel. La PSQ ne se fera pas, non plus, sans les élus locaux. Ils doivent être en mesure d’orienter la politique policière locale si on veut que celle-ci soit tournée vers les besoins des territoires. L’Express Une quinzaine d’expérimentations vont être lancées. Existe-t-il un cahier des charges qui s’applique à toutes? S. R. C’est un enjeu. J’ai recommandé au ministère de l’Intérieur la mise en place d’un cadre souple définissant les objectifs et les manières de procéder. Il faut surtout échapper à la liste à la Prévert. Prenez les demandes des syndicats de commissaires et d’officiers : ils veulent plus de moyens, plus de véhicules, etc. Ce qui les préoccupe, logiquement, ce sont leurs besoins à eux, pas ceux des citoyens. Or il faut donner du sens à cette réforme, qui doit être fondée sur la qualité de la police et l’égalité des citoyens face à elle.

L’Express Une partie des forces de l’ordre ne risque-t-elle pas de faire de la résistance ?

S. R. Les sentiments sont partagés. Certains fonctionnaires estiment que le bon policier est uniquement celui qui attrape les délinquants. D’autres prônent une police plus soucieuse d’éviter qu’il y ait des victimes, donc axée sur la prévention et les partenariats locaux avec les éducateurs ou les médecins, par exemple. Mais, globalement, tous en ont assez du pilotage actuel basé sur la « culture du résultat » et ses objectifs déclinés en nombres de PV ou de gardes à vue. La PSQ ne les enthousiasme pas pour autant. Ils ont vu passer beaucoup de réformes dans un sens, puis dans l’autre, avec des moyens qui leur semblent insuffisants…

L’Express Avec 251500 policiers et gendarmes, les effectifs actuels permettent-ils de mettre en place la PSQ sans nuire aux autres priorités des forces de l’ordre, à commencer par la lutte contre le terrorisme ?

S. R. La France est assez bien dotée. Les forces de sécurité publique sont de plus en plus nombreuses et de mieux en mieux payées. D’ailleurs, le gouvernement s’est engagé à créer 10000 postes supplémentaires au cours du quinquennat. Résultat : les marges budgétaires sont largement absorbées par le personnel, et il ne reste plus grand-chose pour investir dans les moyens et moderniser les conditions de travail. Le principal problème n’est pas le nombre de policiers et gendarmes, mais de savoir si les effectifs se trouvent au bon endroit, avec les équipements leur permettant de bien travailler et la bonne doctrine.

L’Express Quelle peut être la place, au sein de la PSQ, des polices municipales présentes aujourd’hui dans 90% des communes de plus de 3500 habitants ?

S. R. Il existe déjà des protocoles d’accord entre polices nationale et municipales qui visent à la complémentarité des forces, mais il faudrait les remettre à plat. Le problème se pose essentiellement pour les villes comme Lyon et Nice, qui comptent beaucoup d’agents de police municipaux. Le plus gros enjeu est celui de l’articulation avec les entreprises de sécurité privée, qui emploient des centaines de milliers d’agents dont certains, désormais, peuvent être armés. Si la police publique, plus chère que cette police privée, n’est pas capable de donner satisfaction aux usagers, on risque de s’orienter vers une privatisation de la sécurité publique.