Mais qu’est-ce qui se joue derrière le clash police judiciaire vs Darmanin ? 

Mais qu’est-ce qui se joue derrière le clash police PJ / DGPN & Darmanin ? Pour le comprendre il faut remonter 40 ans en arrière pour mettre en perspective la question des structures et de l’efficience, et le deal ministère / syndicat. Voyons cela. https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/marseille-le-directeur-de-la-police-judiciaire-demis-de-ses-fonction-2630448.html

Un bras de fer est actuellement engagé entre le ministre Darmanin qui n’accepte pas l’opposition des organisations syndicales et apparemment d’une large partie des personnels (il n’y a pas de décompte) autour de l’organisation territoriale de la PJ qui serait + départementalisée si la réforme aboutit. Comment cela va-t-il évoluer ? La question de l’efficacité et la pertinence des politiques policières est soulevée régulièrement. Ainsi dès 1985, la loi de modernisation fait des constats et fixe des objectifs qui sont … les mêmes qu’aujourd’hui.

Le diagnostic d’ensemble de la loi vaut le coup d’oeil : « Au sein des démocraties occidentales, la France connaît le taux de présence policière le plus élevé : près de 4 agents de la force publique pour 1 000 habitants. L’augmentation des effectifs n’est plus une réponse suffisante ».

Affirmant « qu’il n’y a pas de fatalité à l’accroissement de la délinquance et que la police nationale peut et doit être un modèle pour le service public », elle trace les lignes de réforme vers l’efficacité : formation, équipements, présence des fonctionnaires sur le terrain. 

Le constat de la situation en 1985 n’a pas changé depuis cette date : la police française est clairement nombreuse / moyenne de l’UE, et le gouvernement veut mettre du bleu dans la rue. Comment ? Des économies latentes seraient possibles par la réforme de structure pense le gouvernement.

Une première tentative a eu lieu en 1992. Elle fusionne dans 1 direction centrale de la police territoriale les directions des polices urbaines, RG, et police de l’air/ frontières. Cela devait permettre une gestion globale des agents en évitant les pertes d’efficacité résultant de structures trop cloisonnées. Le décret est publié au Journal officiel du 21 février 1992. La réforme est abandonnée en 1993 par Pasqua, décret https://bdoc.ofdt.fr/doc_num.php?explnum_id=20573

Pourquoi ? On va comprendre. Les policiers travaillent de moins en moins. « en 1948, un policier travaillait 48 heures par semaine pendant 48 semaines. Il produisait 2 304 heures travaillées ». Avec les accords « Oudinot » au 1er janvier 1969 au 1er octobre 1976, c’est 41 h 30. En 1982, c’est 39 heures sur 47 semaines, et la durée annuelle de travail est de 1 833 heures par agent, soit une réduction de plus de 20 %. En 2019, c’est 1 607 heures. Les recrutements de policiers compensent les réductions du temps de travail.

On peut imaginer que c’est ce que le DGPN a aujourd’hui en tête, mais cette fois en incluant la PJ (qui ne l’était pas en 1992).

Mais, ce n’est pas le seul métier policier qui ne voit pas la réforme d’un bon oeil. La police est divisée en grands métiers: enquête, quotidien, ordre. En matière de sécurité du quotidien, qu’en France n’appelle sécurité publique, la plus importante réforme a été tentée en 1997-2002 sous le terme de police de proximité. Cette réforme, qui avait emporté l’assentiment de la population dans les zones où elle avait été mise en place a été auto-détruite par J. Chirac et N. Sarkozy (son ministre de l’Intérieur), progressivement à partir de 2002, et ce hors de toute évaluation rigoureuse de son efficacité (les évaluations de l’IGPN à l’époque sont des blagues administratives). Évoquée par le candidat Macron en 2017, sous un nom nouveau « police de sécurité du quotidien », elle n’a jamais vu le jours, et s’est transformée en dotation en tablettes et en augmentation du nombre d’agents dans la rue (comme en 1985), hors toute réflexion sur la doctrine.

Enfin, la police du maintien de l’ordre, comme on l’appelle en France, a été prise dans une tourmente avec le mouvement des gilets jaunes, et les 30 personnes mutilées par l’usage des armes « moins mortelles » de la police (contre zéro mutilé chez les policiers), et deux morts dans la période (dont 1 à Nantes, sans rapport avec les gilets jaunes). 2 morts sur 12 mois, il y a longtemps qu’on n’avait pas vu cela en maintien de l’ordre. La crise a déclenché le Beauvau de la Sécurité, qui n’a lui même débouché sur … pas grand chose, hormis l’accent sur le contrôle du tireur au LBD par un second agent (bon à prendre), et sur la communication vers la foule. Cette dernière n’a pas eu lieu dans l’épisode du stade de France, chaos indescriptible, où la police a été incapable de communiquer. 

L’organisation territoriale n’a donc pas évoluée dans sa structure lourde (sauf l’extension de la PP à la petite couronne, recreant de fait le département de la Seine comme emprise de la PP, il avait été supprimé en 1964). La doctrine de police de sécurité publique n’a pas bougé non plus depuis 40 ans, et on est revenu à la police réactive des années 80. Confiance et légitimité sont des mots inconnus en France. Et, la doctrine du maintien de l’ordre fait montre d’un immobilisme étonnant au regard des évolutions à l’étranger dans les démocraties européennes les plus approfondies (on l’on ne tire pas à la grenade et au LBD sur les manifestants en colère, je le rappelle pour mémoire). 

Ainsi, si la police française n’est pas complètement vitrifiée, sa capacité à ne pas changer est impressionnante. Et ce même quand on lui « donne » beaucoup, c’est à dire qu’on augmente son budget de manière généreuse (et aussi les rémunérations). La cour des comptes avait déjà noté dans un rapport thématique l’asymétrie de la relation gouvernement/syndicats. Les groupes professionnels et leurs représentants ont décidé d’imposer leurs préférences, une fois de plus.

Je pense que c’est dans ce cadre qu’il faut comprendre le bras de fer actuel. Un ministre qui a « tant fait » peut-il accepter de ne rien recevoir, ou si peu ? Un ministre qui a reçu du Président l’instruction de mettre du bleu dans la rue, et donc de rationaliser la police, peut-il accepter ce refus ?

Je ne me prononce pas sur le bien ou le mal fondé de la réforme de la PJ, dont les risques sont caricaturés par les organisations professionnelles (qui se sentent obligées d’y aller pour ne pas être court circuitées comme en 2016 ?). Je me contente de souligner qu’il est vraisemblable qu’il y ait une limite à la fermeture à la transformation de la police. Elle ne se trouve pas dans les meurtrissures infligées à la population, dont le ministre s’accommode, mais dans le risque de normalisation de l’asymétrie entre pouvoir politique et administration, faisant du premier le serviteur du second. 

Darmanin soutien tous les policiers de France. Mais, à condition qu’ils le soutiennent en retour, ou tout au moins ne lui dénient pas sa fonction. C’est pourquoi, il y a des chances que le conflit s’envenime. 

Homicides policiers : « On est sur une année particulièrement problématique »

Par Héléna Berkaoui  
Le 10/09/2022

https://www.bondyblog.fr/uncategorized/homicides-policiers-on-est-sur-une-annee-particulierement-problematique/

En moins de 24 heures, deux personnes sont mortes sous les balles de la police. Pour Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS, l’augmentation du nombre d’homicides policiers ne peut s’expliquer par la simple hausse des refus d’obtempérer, contrairement à ce qu’affirment les syndicats de policiers. Interview. 

Un homme est abattu par la police au volant de son véhicule. L’histoire se répète à Nice, Rennes, Stains et en cette rentrée pas moins de deux personnes sont mortes sous les balles de la police. Le bilan s’élève à 9 morts, depuis janvier, au prétexte du refus d’obtempérer.

Dans les médias, le narratif des syndicats de policiers tend à s’imposer : le problème serait la hausse du nombre des refus d’obtempérer. Circulez.

Interviewé par le Bondy blog, Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS, réfute cette thèse. Il est l’auteur de De la police en démocratie (Editions Grasset, 2016) et de La Nation inachevée, la jeunesse face à l’école et à la police (Editions Grasset, 2022).

Selon lui, on ne peut réduire la question à la hausse des refus d’obtempérer. La modification législative de 2017, assouplissant la notion de légitime défense, doit être prise en compte. Depuis cette loi, cinq fois plus de personnes ont été tuées par des policiers, selon nos confrères de Basta!. Interview.

Comment expliquer la recrudescence d’homicides policiers qu’on a particulièrement observé en cette rentrée ? 

Les organisations syndicales majoritaires disent qu’il y a une explication unique : l’ensauvagement de la société. Selon eux, les policiers, pour nous rendre service, seraient obligés de tuer certains d’entre nous.

C’est leur grande thèse, ils l’ont appliqué à la circulation routière en disant qu’il y a de plus en plus de gens agressifs. Donc que ces morts sont le prix à payer pour que la société ne sombre pas dans le chaos.

Cette thèse est plutôt soutenue par le ministre de l’Intérieur et le directeur général de la police. Gérald Darmanin dit qu’il soutient complètement les policiers et le directeur général de la police affirme que « jamais la police n’est à l’origine de ce qu’il se passe ». Cela sans produire d’éléments à l’appui de ces affirmations.

Le précepte qui dirige la communication politique est : on a la meilleure police du monde donc elle ne peut pas faire de faute

Actuellement, le précepte qui dirige la communication politique est le suivant : on a la meilleure police du monde donc elle ne peut pas faire de fautes.

La deuxième explication, c’est la modification législative introduite en février 2017, qui assouplit l’usage des armes en France pour la police. Cette loi est votée alors que François Hollande est encore président de la République, c’est important de le souligner.

Les organisations syndicales ont demandé cette autorisation, ils l’ont obtenue et mise en avant comme une victoire des bons (les policiers) contre les mauvais (les délinquants).

Cette interprétation repose sur l’idée qu’il y a une relation entre ce que dit la loi et ce que font les policiers. C’est une possibilité, de même que l’augmentation du refus d’obtempérer, il ne faut pas éliminer ces différentes variables, il faut les étudier.

Quels changements observe-t-on depuis cette modification législative ? 

Il y a eu un effet immédiat. Cet effet n’est toutefois pas mécanique, il y a des variations selon les années. Là, on a une année particulièrement problématique.

Il y a une loi qui est votée et cette loi a une signification dans la tête des agents. Cela peut modifier leur comportement si l’organisation est tendue vers certains buts et si l’encadrement n’est pas suffisant. Il n’était pas écrit à l’avance que cette modification aurait cet effet.

Ce qu’on voit, c’est que la loi n’est pas bouleversée. Les grands principes sur lesquels est assis l’usage de la violence par la police ne sont pas changés, mais les pratiques le sont.

Est-ce qu’il y a d’autres éléments expliquant l’augmentation des homicides policiers ?

Il y a un troisième ensemble de facteurs, dont on ne connaît précisément pas les effets. C’est la compétence professionnelle des agents : les processus de sélection et les parcours de formation.

Là, on a des clignotants qui s’allument. Dans les premiers temps du mandat d’Emmanuel Macron, il y a eu une réduction très nette de la durée de la formation des policiers. Aussi, le fait d’annoncer plus de policiers dans la rue (plus de 10 000 au cours du premier mandat d’Emmanuel Macron) a mis une pression sur le système de recrutement et engendré une diminution des exigences avec une baisse des notes moyennes obtenues au concours. De plus, il y a la présence de policiers auxiliaires qui vont suivre une formation très légère et que l’on va retrouver dans la rue avec une arme.

On a donc un affaiblissement de la compétence des agents. Et les causes se combinent comme d’en d’autres phénomènes sociaux.

Le narratif qui s’impose dans les médias tend à expliquer ces morts par l’augmentation des refus d’obtempérer. En quoi est-ce biaisé ? 

Devant la multiplication du nombre d’homicides policiers, la stratégie des organisations professionnelles a été de les expliquer par les refus d’obtempérer. D’après eux, les policiers sont soumis à des phénomènes externes qui s’imposent à eux et ils ne font que y réagir.

Le ministre de l’Intérieur a fait des calculs un peu approximatifs pour appuyer la thèse des syndicats

Ils ont orienté le débat vers l’augmentation des refus d’obtempérer et le ministre de l’Intérieur a fait des calculs un peu approximatifs pour appuyer cette thèse. Mais en réalité, des refus d’obtempérer graves, il y en a 4 500 par an, donc une douzaine par jour sur une population de 70 millions d’habitants. Il y en a, mais ce n’est pas la vague suggérée par les statistiques du ministère de l’Intérieur.

Le travail politique des syndicats a été de cadrer la question en disant qu’il n’y avait pas de problèmes d’homicides policiers mais un problème de comportement chez certains automobilistes.

Mais la vraie question reste celle des déterminants de ces homicides policiers. Et on n’a pas de raison de considérer qu’il n’y en a qu’un, sans la moindre étude.

Les syndicats majoritaires, Alliance en particulier, adoptent un ton qui est extrêmement véhément et agressif dans les médias

Est-ce que vous observez un durcissement du discours des syndicats policiers ? 

Les syndicats majoritaires, Alliance en particulier, adoptent un ton qui est extrêmement véhément et agressif dans les médias. Mais sur le fond des propositions, ils ont un agenda qui est assez cohérent. Quand ils obtiennent le droit d’utiliser des tirs sur des personnes en fuite, c’est un long combat pour les syndicats.

Ils ont une ligne d’interprétation : la société est très violente, les policiers sont des victimes, ils ne peuvent pas se tromper. À partir de là, ils ont besoin d’être protégés, de disparaître dans les procédures judiciaires, d’avoir le droit de porter des cagoules, de ne pas porter leur numéro d’identification et de tirer.

Peut-être qu’on les entend simplement plus ? Qu’ils sont plus médiatisés ? 

Ils sont assez actifs et ont une certaine expérience des plateaux télés. Ils ont aussi l’avantage d’avoir des propositions d’un simplisme désarmant.

Leur problème, c’est toujours les autres : on a une mauvaise justice, des élus qui sont mous, une population sauvage. On pourrait qualifier leurs propositions de ridicules d’un point de vue de l’analyse, mais du point de vue du message, on peut leur reconnaître une certaine efficacité. Tout le monde peut aller à la télé et répéter ces slogans.

Mais on a eu des manifestations de policiers, notamment une devant l’Assemblée nationale en mai 2021. Une manifestation qui avait pour objet de faire pression sur le législateur et l’exécutif. Est-ce que ce n’est pas le franchissement d’un cap ? 

C’est surtout de la communication. Il ne s’agit pas de policiers qui se préparent à prendre le Parlement par la force. Leur force a surtout été de faire venir les hommes politiques de gauche, les écologistes et évidemment le ministre de l’Intérieur pour les soutenir.

Il s’agit plutôt d’une opération de communication où on a vu des partis progressistes (PS, PCF, EELV) s’aligner sur cette forme d’action syndicale.

La faiblesse de la pensée des partis de gauche explique la vigueur et la force des organisations syndicales

Est-ce qu’ils n’ont pas gagné quand on sait que le patron du Parti socialiste, Olivier Faure, se refuse à employer les termes “violences policières” ? 

Mon interprétation, c’est que la faiblesse de la pensée des partis de gauche explique la vigueur et la force des organisations syndicales. C’est-à-dire qu’ils n’ont pas d’obstacles devant eux.

Depuis le début de l’année, on dénombre 9 personnes tuées dans ces circonstances. Qu’est-ce qu’il faudrait faire pour que ça s’arrête ? 

Il faudrait, à court terme, qu’il y ait des instructions données pour faire respecter les principes de proportionnalité et d’absolue nécessité. Que cela soit rappelé par une instruction du ministre à tous les directeurs départementaux.

Ensuite, il pourrait y avoir une modification de la loi, mais ça prendrait quelques mois. Je ne suis pas persuadé qu’on aboutisse à un accord politique cependant. Le dernier levier, serait d’ajuster les formations, mais les effets de la formation prennent plusieurs mois, plusieurs années pour faire effet.

La seule chose qui peut avoir un effet rapide, ce sont des instructions hiérarchiques précises.

Propos recueillis par Héléna Berkaoui

Homicides policiers et refus d’obtempérer 

La multiplication des homicides policiers depuis plusieurs années, et en particulier l’annonce de onze décès consécutifs à des tirs policiers sur des occupants de véhicules pour la seule année 2022, a déclenché un très légitime débat public autour des causes d’un tel phénomène. Une question simple mérite réponse: la loi de février 2017, qui permet aux policiers de tirer sur des citoyens même lorsqu’ils ne représentent pas une menace grave et immédiate – s’affranchissant ainsi en partie du cadre de la légitime défense –, est-elle une cause de cette augmentation? La présente étude, fondée sur une analyse statistique rigoureuse du nombre mensuel de victimes de tirs, tend malheureusement à démontrer que tel est très probablement le cas. Il ne s’agit pas ici d’alimenter le faux débat qui voudrait que l’on soit pour ou contre la police – parler de la police n’a aucun sens indépendamment du comportement de ses membres –, mais plutôt de savoir si nous avons affaire à de la «mauvaise» police, et si ces actes dommageables trouvent leur source dans la loi. https://esprit.presse.fr/actualites/sebastian-roche-et-paul-le-derff-et-simon-varaine/homicides-policiers-et-refus-d-obtemperer-44252

Le gouvernement, le parlement et la police auraient-ils pu éviter l’augmentation des homicides policiers par tirs sur les occupants des véhicules ? La réponse est, malheureusement pour eux, positive: avant même la loi de 2017, il était déjà démontré que le nombre de tués varie en fonction de la loi ou de la règlementation dans une force de police. Ainsi, en 1972 le chef de police de New York, Patrick V. Murphy, a restreint les tirs aux situations où les policiers doivent protéger une vie, interdisant de tirer sur les suspects en fuite. Le résultat fut immédiat, avec une baisse du nombre de citoyens tués. https://www.syracuse.com/news/2011/12/former_syracuse_police_chief_p.html

De même, la police de Los Angeles modifia les règles d’autorisation de tirs en 1977, dans le but d’épargner des vies humaines. Avant 1977, les policiers pouvaient tirer pour éviter qu’un suspect refusant d’obtempérer ne s’échappe. Après, ce n’était plus possible que si la personne avait commis un crime grave. La loi eut bien l’effet anticipé, sans toutefois rendre le « modèle américain » désirable, vu d’Europe.

Ainsi, la relation entre a) la loi qui étend la légalité des tirs à un plus grand nombre de circonstances, et ce indépendamment de la gravité des infractions commises, et b) le nombre de citoyens tués était connue depuis 50 ans au moment où la France vote de telles dispositions.

Le congrès américain a publié le rapport suite à la mise en place d’une  » sous commission d’enquête sur le judiciaire ». C’est évidemment ce qu’on attend de l’Assemblée Nationale en France: examiner les faits et ajuster les lois en fonction de leurs effets réels.

La multiplication des homicides policiers depuis 2017 pose question

La multiplication des homicides policiers sur les conducteurs ou occupants de véhicules depuis la loi de 2017 mérite attention. Encore deux morts de plus. Les diagnostics de la perte d’autorité ou la violence grandissante sont les mamelles des discours de certains syndicats de police, et de certains de leurs conseils. Pourtant, aucune preuve précise n’a été apportée sur les refus d’obtempérer comme indicateurs de ces tendances. Il faut commencer par le commencement : il n’y aurait pas de refus d’obtempérer s’il n’y avait pas de contrôle. Plus on demande à des contrôleurs de faire des contrôles plus il va y avoir des refus. C’est mécanique. Ceci signifie que pour affirmer qu’il y a une propension croissante au refus d’obéir il faut connaître deux valeurs : le nombre total de contrôles réalisés, et le nombre total de refus.

Or, l’onisr ne publie pas le nombre total de contrôle. On ne peut donc pas affirmer que la propension au refus augmente, car … on n’en sait rien ! On peut regarder, faute de mieux, la part des refus avec mise en danger par rapport aux refus sans mise en danger. Et que constate – t – on ? En 2012 il y a 2.500 refus dangereux contre 19.000 refus non dangereux (total 21.500). C’est 13% de refus dangereux. En 2020 (dernière année dispo) il y a 4.500 contre 26.600 (total 31.100) soit 16% de refus dangereux. Il y a bien une modification de 3 points en 10 ans, mais rien qui ressemble à un tsunami. L’essentiel de l’augmentation pourrait bien être liée à l’augmentation du nombre total des contrôles (approximé ici par le total des refus, dont l’essentiel est fait de refus simples). Surtout, cette hausse de 3 points n’explique pas la hausse de la violence policière. L’usage des armes est l’expression la plus directe de celle-ci. Il n’existe pas encore d’étude publiée dans un journal académique, il faut rester prudent, mais les premières évaluations à partir des sources ouvertes de l’usage mortel des armes par la police est assez inquiétant. En effet, le site bastamag parle d’une augmentation sans rapport avec quelques points, bien plus massive https://basta.media/refus-d-obtemperer-quatre-fois-plus-de-personnes-tuees-par-des-policiers-depuis-cinq-ans… Le rapport annuel 2021 de l’IGPN confirme d’ailleurs l’élévation du nombre de tirs. Ceci a poussé la Défenseur des droits à se saisir du dossier https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/06/28/refus-d-obtemperer-la-defenseure-des-droits-se-saisit-de-trois-dossiers-mettant-en-cause-des-policiers_6132322_3224.html

Si les résultats se confirmaient, ils expliquerait le bruit médiatique de certains syndicalistes de police (et leurs mantras: perte de l’autorité et société devenue plus violente) : il aurait pour but de faire rater aux journalistes la tendance de fond faite d’augmentation des violences policières mortelles. Et… cela n’a d’ailleurs pas trop mal marché car même la presse de qualité reprend les propos des dites organisations « L’affaire de Vénissieux illustre la recrudescence et la dangerosité des refus d’obtempérer » https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/08/20/l-affaire-de-venissieux-illustre-la-recrudescence-et-la-dangerosite-des-refus-d-obtemperer_6138509_3224.html titre ainsi Le Monde.

La multiplication des tirs policiers mortels est un danger pour le 1er des droits humains, le droit à la vie. Et le fait que certaines personnes tuées par la police aient commis des délits n’autorise pas à les exécuter. Il faut questionner la pertinence de la stratégie de multiplication des contrôles. Sont-ils efficaces ? Réduisent ils effectivement la délinquance ? Rien ne prouve que leur multiplication a bien l’effet qu’on leur prête. Sont-ils efficients, c’est à dire leur efficacité est elle élevée en tenant compte de leurs coûts ? On peut en douter étant donné le nombre de tués dénombrés. Le coût social de la police est donc de plus en plus conséquent, pour un gain inconnu.

J’ajoute que la quasi impossibilité (même si elle n’est pas totale) par une cour de montrer la responsabilité du policier tireur – en raison d’une loi trop floue- ouvre plus grande encore la boite de Pandore de la violence policière, et qu’il sera fort malaisé de refermer.

« Le ministère de l’Intérieur n’a aucune stratégie face à la délinquance »

Tribune Par Sebastian Roché Publié le 19/07/2022 à 12:08 dans Marianne https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/le-ministere-de-linterieur-na-aucune-strategie-face-a-la-delinquance

Dans une tribune, Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS et auteur de « De la police en démocratie » (Grasset), explique, à l’heure où une nouvelle flambée de délinquance frappe la France, à quel point le ministère de l’Intérieur ne dispose d’aucun dispositif fiable pour appréhender le résultat de ses actions.

À chaque fait divers, la même turbulence médiatique se déclenche, avec déclarations opposées des uns et des autres, suivant qu’ils sont aux affaires ou dans l’opposition. Sans parler de la mécanique de la surenchère, dont on connaît les rouages. Ainsi est née la rhétorique de l’« ensauvagement », empruntée au Rassemblement national par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. D’ailleurs aussi vite oubliée au profit de celle du « bon bilan » du gouvernement en matière de sécurité pour l’élection présidentielle de 2022.

PREMIÈRE FACE : L’ENJEU POLITIQUE

La délinquance a deux faces. C’est d’abord un enjeu politique : à quelques exceptions près, tout candidat à une élection ou toute personnalité accrochée à son maroquin se doit de faire des déclarations enflammées sur le péril, et sur sa capacité à endosser le costume du sauveur. Les responsables du ministère de l’Intérieur et l’Élysée jouent une pièce de théâtre : d’un côté il y a le mal, et de l’autre la police. Le registre est l’indignation morale – « la drogue, c’est de la merde » – façon Margaret Thatcher : « jamais, jamais vous ne m’entendrez dire qu’il faut économiser sur la loi et l’ordre ».

La pièce, bien que jouée mille fois, semble plaire aux Français. La délinquance comme enjeu politique et pièce de théâtre mobilise tout ce qu’un ministre peut donner. Il va se déplacer sur les lieux pour assister à la représentation spontanée mise en scène à son endroit : patrouille sur les lieux de deal avec les agents, visite de commissariat.

DEUXIÈME FACE : LE PROBLÈME DE POLITIQUE PUBLIQUE

Le second visage de la délinquance, c’est le problème de politique publique : un ensemble de nuisances et de risque qu’il faut réduire. Aussi curieux que cela puisse paraître, ce visage de la délinquance n’intéresse pas le ministère de l’Intérieur. Ainsi, la police ne sait pas vraiment si les auteurs de délits et les crimes sont plus nombreux. Et pas non plus si les délinquants ont rajeuni (ce qui, depuis vingt ans que le slogan est répété, devrait pousser à des mesures au berceau si le phénomène était avéré). Et encore moins si les attaques au couteau s’envolent. Pourquoi ? Une raison est que la délinquance des jeunes émeut beaucoup en période électorale, moins après : ainsi on n’a construit aucun outil pour mesurer le phénomène en question.

On disposait bien d’enquêtes de l’Insee sur les victimes (suspendues depuis quelques années), mais pas de leur équivalent les « enquêtes de délinquance autodéclarée ». En France, ni les unes ni les autres n’ont jamais été jugées utiles, et surtout jamais utilisée. Gérald Darmanin l’a dit : « J’aime beaucoup les enquêtes de victimation et les experts médiatiques, mais je préfère le bon sens du boucher-charcutier de Tourcoing ». Ce qui compte : l’enjeu politique ! Cette posture, classique de tout ministre, n’a pas évolué aussi loin que je me souvienne.

LE JOB DE DIRECTEUR DE LA STRATÉGIE N’EXISTE PAS

Il faut bien avouer qu’avoir des indicateurs précis de la réalité n’aurait d’intérêt que si le ministère de l’Intérieur avait une stratégie. Or, ce n’est pas le cas. Malgré quelques tentatives éphémères, le job de directeur de la stratégie n’existe pas. Ce qui signifie qu’il n’y a pas d’instance officielle pour la produire, pas de « Recherche et développement », dans le vocabulaire du privé. Cela paraît improbable, mais je laisse le lecteur s’en convaincre par ses propres recherches. Faisons un parallèle : imaginons un constructeur automobile qui dirait « notre stratégie, c’est de déplacer les personnes ». Il aurait tort : une stratégie consiste à définir le véhicule utile pour réaliser certaines tâches, et voir comment il peut être fabriqué pour un coût raisonnable.

Dire que « la police nous protège » n’est pas une stratégie, c’est du théâtre. Enfin la cerise sur le gâteau tient à l’absence d’intérêt pour l’efficacité de la police elle-même. Le ministère ne dispose d’aucun dispositif fiable pour vérifier si les actions entreprises ou les programmes déployés réduisent les problèmes avec un coût acceptable. Il n’existe aucun document rigoureux d’analyse de leurs effets. Aucun. En toute logique, les jeunes cadres de la police ne sont d’ailleurs pas formés à l’analyse des causes de la délinquance.

L’expérience de l’Etat et l’intégration politique

https://www.lamontagne.fr/paris-75000/actualites/le-quotidien-des-jeunes-construit-leur-citoyennete-analyse-le-sociologue-sebastian-roche_14097741/

« Dans les démocraties, chaque génération est un peuple nouveau ». Pour ouvrir son essai, La nation inachevée (*), Sebastian Roché a choisi les mots d’Alexis de Toqueville. Des mots qui viennent rappeler les évolutions générationnelles des sensibilités et du rapport à la nation. C’est cette nation toujours renouvelée que le sociologue a choisi de scruter. Sa thèse : la construction de l’attachement national des jeunes repose sur les « expériences émotionnelles » que constituent les contacts avec les agents de l’école et de la police

École et nation : les inégalités bloquent l’intégration politique

Comment se fabrique le sentiment d’appartenance à une nation ? Sébastian Roché a lancé deux enquêtes très larges auprès des jeunes du sud est de la France. Il en tire un livre (La nation inachevée, Grasset) et des images précises des sentiments d’appartenance des jeunes et de la façon dont il se construit. Deux facteurs jouent beaucoup dans cette construction : le rapport que les jeunes entretiennent avec l’école et la police, les deux institutions qui symbolisent l’Etat dans leur univers adolescent. Pour S Roché les controles d’identité discriminatoires, l’échec scolaire tout comme la ségrégation sociale et ethnique à l’école jouent contre l’identification nationale. Pour lui l’Etat n’est pas la solution à la crise que nous traversons mais le poison qui l’entretient. Il s’en explique dans cet entretien.

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2022/03/18032022Article637831824810733397.aspx

L’identité nationale est le grand thème de cette campagne. Mais qui s’intéresse à savoir ce dont il s’agit?

L’identité nationale est le grand thème de cette campagne. Mais qui s’intéresse à sa nature (de quoi s’agit-il), sa mesure, et la manière dont elle se fabrique dans la France d’aujourd’hui? Comment les jeunes athées, catholiques et musulmans s’identifient-ils à la France, voient-ils leur relation à l’Etat (au vote, Président de la République, à la laïcité) ? A partir de larges études dans plusieurs régions de France, je propose 1 lecture de l’intégration politique. Comme l’identité sociale religieuse est « mélangée » avec des conditions socio-économiques (les musulmans sont au bas de l’échelle), des quartiers de résidence, des expériences de l’Etat différentes, il faut regarder tous ces facteurs. Or, tous ont un effet, et cela bouscule le réductionnisme, l’idée d’une identité de foi qui s’auto-expliquerait (une sorte de cause des causes), contre toute évidence empirique. En réalité l’expérience scolaire, le secteur privé ou publique, mais aussi la composition de l’établissement, ou encore la relation avec les professeurs ont des effets, mais ils sont parfois les mêmes pour tous les élèves (être « mauvais » à l’école= distance vis-à-vis de la nation, voir graphique tiré de « La Nation inachevée », @editionsgrasset), parfois différents (les musulmans à l’école privée se sentent plus intégrés à la collectivité politique). La relation à l’école est une « expérience de l’Etat » à travers ses agents, très importante pour les adolescents pour une raison simple: ils y passent beaucoup de temps. Or ce détachement vis-à-vis de l’école (pas des profs d’ailleurs) est plus marqué que chez nos voisins. Ce déficit de confiance est préjudiciable à la formation de la culture civique. Comment espérer de l’école qu’elle soit la matrice de la République si elle ne réussit pas à créer un fort attachement de la part des adolescents? Les élèves qui réussissent moins bien que les autres, quelque soit leur identité religieuse, croient moins dans l’utilité du vote, et cela avant même d’avoir atteint l’âge de la majorité électorale. La distance par rapport à la politique se construit très en amont de l’élection. Intérêt pour la politique, croyance dans le mécanisme fondamental sur lequel la démocratie est assise (le vote), perception du Président de la République (la « clé des institutions), des valeurs de laïcité: beaucoup se joue au collège et au lycée, et ce n’est pas le défaut d’exposition aux symboles nationaux (hymne, emblème) qui en est la cause, mais l’expérience de l’inégalité, de la ségrégation, et de l’échec qui en sont à la base.

«La construction de la nation est, par définition, toujours inachevée.»

https://aoc.media/opinion/2022/02/21/les-candidats-a-lelection-presidentielle-ne-sont-pas-la-nation/

Les candidats à l’élection présidentielle ne sont pas la nation

Par  Sebastian Rochémardi 22 février 2022

Politique  Politiste 

Les dirigeants politiques – et a fortiori les candidats à l’élection présidentielle – pensent disposer d’une légitimité à incarner la voix de la nation et à en délimiter les frontières. Mais dans nombre de leurs discours s’impose une conception exclusive de l’identité nationale, articulée à des critères ethniques plutôt que politiques. Cette posture nie l’idée de nation telle qu’elle s’est historiquement construite.

Qu’est-ce que signifie appartenir à une nation ? Dans un récent ouvrage – La nation inachevée – j’ai essayé d’analyser les processus concrets de sa fabrication continue, et revenir sur les concepts de nation, d’État, et de peuple d’État qui méritent d’être distingués pour voir clair dans la manière dont la nation est pensée pendant la campagne électorale

La Nation inachevée

Qu’est-ce qu’être français, s’inscrire dans la culture politique nationale ? Le processus général de fabrication de la nation est par définition, toujours inachevé. Alors, comment le processus d’adhésion ou de rejet du cadre national et civique se produit-il ? On a bp entendu les hommes et femmes politiques dirent ce qu’ils pensent, mais pas la nation elle même.

Ainsi, par exemple @vpecresse veut que l’inscription dans la République se confonde avec les pratiques sociales ordinaires – avoir un sapin de Noel ou s’intéresser au tour de France. Mais, la réalité de la fabrication d’un sentiment national chez les jeunes, la nouvelle nation, a en réalité d’autres ressorts, bien plus liés à leur expérience de l’Etat.

A partir de larges enquêtes chez les adolescents, la « nouvelle nation », on découvre les logiques réelles qui font croire dans le vote, adhérer à la laïcité et se sentir français. L’adhésion à une culture politique nationale repose d’une part sur le statut social matériel (être riche ou pauvre) et symbolique (faire partie du groupe majoritaire/minoritaire), et d’autre part sur l’expérience directe avec les agents qui sont l’Etat au concret. Pour les jeunes, ce sont les policiers et les enseignants. Les bons contacts avec les fonctionnaires de premières lignes médiatisent le la relation à la collectivité politique et à ses normes. Et, inversement, injustices et humiliations écartent pour longtemps des adolescents des normes civiques et nationales.

https://www.grasset.fr/livres/la-nation-inachevee-9782246819707