Mais qu’est-ce qui se joue derrière le clash police judiciaire vs Darmanin ? 

Mais qu’est-ce qui se joue derrière le clash police PJ / DGPN & Darmanin ? Pour le comprendre il faut remonter 40 ans en arrière pour mettre en perspective la question des structures et de l’efficience, et le deal ministère / syndicat. Voyons cela. https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/marseille-le-directeur-de-la-police-judiciaire-demis-de-ses-fonction-2630448.html

Un bras de fer est actuellement engagé entre le ministre Darmanin qui n’accepte pas l’opposition des organisations syndicales et apparemment d’une large partie des personnels (il n’y a pas de décompte) autour de l’organisation territoriale de la PJ qui serait + départementalisée si la réforme aboutit. Comment cela va-t-il évoluer ? La question de l’efficacité et la pertinence des politiques policières est soulevée régulièrement. Ainsi dès 1985, la loi de modernisation fait des constats et fixe des objectifs qui sont … les mêmes qu’aujourd’hui.

Le diagnostic d’ensemble de la loi vaut le coup d’oeil : « Au sein des démocraties occidentales, la France connaît le taux de présence policière le plus élevé : près de 4 agents de la force publique pour 1 000 habitants. L’augmentation des effectifs n’est plus une réponse suffisante ».

Affirmant « qu’il n’y a pas de fatalité à l’accroissement de la délinquance et que la police nationale peut et doit être un modèle pour le service public », elle trace les lignes de réforme vers l’efficacité : formation, équipements, présence des fonctionnaires sur le terrain. 

Le constat de la situation en 1985 n’a pas changé depuis cette date : la police française est clairement nombreuse / moyenne de l’UE, et le gouvernement veut mettre du bleu dans la rue. Comment ? Des économies latentes seraient possibles par la réforme de structure pense le gouvernement.

Une première tentative a eu lieu en 1992. Elle fusionne dans 1 direction centrale de la police territoriale les directions des polices urbaines, RG, et police de l’air/ frontières. Cela devait permettre une gestion globale des agents en évitant les pertes d’efficacité résultant de structures trop cloisonnées. Le décret est publié au Journal officiel du 21 février 1992. La réforme est abandonnée en 1993 par Pasqua, décret https://bdoc.ofdt.fr/doc_num.php?explnum_id=20573

Pourquoi ? On va comprendre. Les policiers travaillent de moins en moins. « en 1948, un policier travaillait 48 heures par semaine pendant 48 semaines. Il produisait 2 304 heures travaillées ». Avec les accords « Oudinot » au 1er janvier 1969 au 1er octobre 1976, c’est 41 h 30. En 1982, c’est 39 heures sur 47 semaines, et la durée annuelle de travail est de 1 833 heures par agent, soit une réduction de plus de 20 %. En 2019, c’est 1 607 heures. Les recrutements de policiers compensent les réductions du temps de travail.

On peut imaginer que c’est ce que le DGPN a aujourd’hui en tête, mais cette fois en incluant la PJ (qui ne l’était pas en 1992).

Mais, ce n’est pas le seul métier policier qui ne voit pas la réforme d’un bon oeil. La police est divisée en grands métiers: enquête, quotidien, ordre. En matière de sécurité du quotidien, qu’en France n’appelle sécurité publique, la plus importante réforme a été tentée en 1997-2002 sous le terme de police de proximité. Cette réforme, qui avait emporté l’assentiment de la population dans les zones où elle avait été mise en place a été auto-détruite par J. Chirac et N. Sarkozy (son ministre de l’Intérieur), progressivement à partir de 2002, et ce hors de toute évaluation rigoureuse de son efficacité (les évaluations de l’IGPN à l’époque sont des blagues administratives). Évoquée par le candidat Macron en 2017, sous un nom nouveau « police de sécurité du quotidien », elle n’a jamais vu le jours, et s’est transformée en dotation en tablettes et en augmentation du nombre d’agents dans la rue (comme en 1985), hors toute réflexion sur la doctrine.

Enfin, la police du maintien de l’ordre, comme on l’appelle en France, a été prise dans une tourmente avec le mouvement des gilets jaunes, et les 30 personnes mutilées par l’usage des armes « moins mortelles » de la police (contre zéro mutilé chez les policiers), et deux morts dans la période (dont 1 à Nantes, sans rapport avec les gilets jaunes). 2 morts sur 12 mois, il y a longtemps qu’on n’avait pas vu cela en maintien de l’ordre. La crise a déclenché le Beauvau de la Sécurité, qui n’a lui même débouché sur … pas grand chose, hormis l’accent sur le contrôle du tireur au LBD par un second agent (bon à prendre), et sur la communication vers la foule. Cette dernière n’a pas eu lieu dans l’épisode du stade de France, chaos indescriptible, où la police a été incapable de communiquer. 

L’organisation territoriale n’a donc pas évoluée dans sa structure lourde (sauf l’extension de la PP à la petite couronne, recreant de fait le département de la Seine comme emprise de la PP, il avait été supprimé en 1964). La doctrine de police de sécurité publique n’a pas bougé non plus depuis 40 ans, et on est revenu à la police réactive des années 80. Confiance et légitimité sont des mots inconnus en France. Et, la doctrine du maintien de l’ordre fait montre d’un immobilisme étonnant au regard des évolutions à l’étranger dans les démocraties européennes les plus approfondies (on l’on ne tire pas à la grenade et au LBD sur les manifestants en colère, je le rappelle pour mémoire). 

Ainsi, si la police française n’est pas complètement vitrifiée, sa capacité à ne pas changer est impressionnante. Et ce même quand on lui « donne » beaucoup, c’est à dire qu’on augmente son budget de manière généreuse (et aussi les rémunérations). La cour des comptes avait déjà noté dans un rapport thématique l’asymétrie de la relation gouvernement/syndicats. Les groupes professionnels et leurs représentants ont décidé d’imposer leurs préférences, une fois de plus.

Je pense que c’est dans ce cadre qu’il faut comprendre le bras de fer actuel. Un ministre qui a « tant fait » peut-il accepter de ne rien recevoir, ou si peu ? Un ministre qui a reçu du Président l’instruction de mettre du bleu dans la rue, et donc de rationaliser la police, peut-il accepter ce refus ?

Je ne me prononce pas sur le bien ou le mal fondé de la réforme de la PJ, dont les risques sont caricaturés par les organisations professionnelles (qui se sentent obligées d’y aller pour ne pas être court circuitées comme en 2016 ?). Je me contente de souligner qu’il est vraisemblable qu’il y ait une limite à la fermeture à la transformation de la police. Elle ne se trouve pas dans les meurtrissures infligées à la population, dont le ministre s’accommode, mais dans le risque de normalisation de l’asymétrie entre pouvoir politique et administration, faisant du premier le serviteur du second. 

Darmanin soutien tous les policiers de France. Mais, à condition qu’ils le soutiennent en retour, ou tout au moins ne lui dénient pas sa fonction. C’est pourquoi, il y a des chances que le conflit s’envenime. 

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