Sébastian Roché est directeur de recherche au CNRS, politologue, et auteur de De la police en démocratie (Grasset, 2016).
L’annonce d’un gros déploiement de forces de l’ordre et l’interdiction de rassemblement dans certains lieux peuvent-elles expliquer cette baisse du nombre d’incidents ?
C’est difficile de trancher. Il y a plusieurs hypothèses. Il est certain que la mobilisation plus importante de policiers et gendarmes a dû jouer un rôle. Je ne pense pas que la menace d’utiliser les LBD ait pu avoir un impact. Nous avons vécu des samedis très violents alors que ces armes avaient été utilisées. Je constate qu’un certain nombre de cortèges étaient annoncés. C’était déjà le cas la semaine dernière. Une grande partie des Gilets jaunes ne sont pas des activistes politiques. Nous ne sommes pas non plus dans uns état d’esprit insurrectionnel. Quand on compare par exemple, avec ce qui s‘est passé il y a quelques années en Egypte, on était dans ce pays dans une insurrection avec des postes de police qui étaient attaqués. On en est loin en France. Et puis, la semaine dernière, nous avions affaire à des groupes bien préparés et décidés à casser et incendier.
Le fait d’avoir recours aux militaires de l’opération Sentinelle a-t-il pu jouer un rôle ?
Je ne crois pas. Le gouvernement a fait une annonce mais Emmanuel Macron a ensuite expliqué que le recours à l’armée n’avait rien à voir avec du maintien de l’ordre. Il y avait pour lui les militaires d’un côté et les forces de l’ordre d’un autre côté. C’est impossible dans une démocratie occidentale de mêler les deux forces. Elles n’ont pas le même matériel, pas le même entraînement… Le gouvernement a fait marche arrière sans vraiment le dire. A u final, les militaires ont surveillé des bâtiments situés en dehors des zones de manifestation déclarées.
Pensez-vous qu’on peut à nouveau vivre des poussées de violence comme on l’a vécu la semaine dernière sur les Champs-Elysées ?
Jusqu’alors le mouvement a décliné avant de repartir. Ce qui est sûr, c’est qu’on a l’impression de vivre quelque chose de durable. Si on m’avait demandé en janvier et même en février si le mouvement allait durer, j’aurais dit non. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a un mécontentement. La mobilisation est finalement de petite taille mais elle s’exprime de façon régulière et continue et des petits groupes créent des dommages. Tout cela est difficile à prévoir.
On évoque la fatigue des forces de l’ordre après ces 19 samedis : est-ce une réalité ?
Les Gilets jaunes peuvent se permettre de ne pas manifester un samedi. Les gendarmes et policiers sont eux, mobilisables. Il y a de la fatigue, du stress et aussi de l’exaspération de devoir toujours être disponibles. On ne voit pas la fin du mouvement. Une partie des syndicats de policiers renvoie la balle vers le gouvernement. Il y a beaucoup de victimes parmi les policiers et parmi les Gilets jaunes. L’image de la police est affectée. Il faudra du temps pour oublier.