« Les groupes contestataires radicaux sont absents des radars du renseignement »
INTERVIEW. Sébastian Roché, spécialiste des questions de police, revient sur la présence de 1 200 Black Blocs lors de la manifestation du 1er Mai.
PROPOS RECUEILLIS PAR CLÉMENT PÉTREAULT
Publié le 02/05/2018 à 18:11 | Le Point.fr
Assistons-nous au retour de la violence contestataire ? Les pouvoirs publics sont-ils préparés à gérer ce type de débordements en milieu urbain ? Au lendemain de la traditionnelle manifestation syndicale du 1er Mai à Paris perturbée par la présence de 1 200 Black Blocs qui ont, notamment, détruit un McDonald’s et une concession automobile proches de la gare d’Austerlitz, Sébastian Roché, directeur de recherche au CNRS et auteur de De la police en démocratie, analyse la situation. Renseignements défaillants, doctrine du maintien de l’ordre inadaptée… Selon lui, l’État devrait revoir ses méthodes.
Le Point : Pouvait-on prévoir ces débordements ?
Sébastian Roché : Ça n’a pas si mal tourné que ça, les images sont impressionnantes, mais, au final, les destructions sont limitées. Je ne dis pas qu’il ne s’est rien passé, mais on est assez loin de situations critiques où on aurait un mort. On a quelques blessés et un peu de casse, il faut relativiser. En revanche, ce qui est intéressant et problématique pour le gouvernement, c’est la taille du regroupement. Mille deux cents Black Blocs, ce n’est pas rien ! Mais cela n’est pas une surprise. Au premier tour de l’élection présidentielle, 40 % des Français se sont inscrits en rupture, que ce soit en votant Le Pen ou Mélenchon. C’est beaucoup ! Il y a des mouvements de radicalité et une polarisation de la société française qui est de nature à favoriser des regroupements de cette taille-là. Les gens se construisent une identité sociale d’opposition conflictuelle.
On ne connaît pas la composition sociologique et politique de ce black bloc ?
La sociologie de la protestation violente est par nature hétérogène. C’est très divers, et le black bloc, contrairement à sa dénomination, n’est pas fait d’un seul bloc. On sait, par l’Allemagne, qu’il s’agit d’une addition de blocs de villes qui se réunissent de manière éphémère. Ce mouvement radical n’est pas structuré, il se détache de la société.
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Doit-on s’attendre à un retour de la violence comme moyen d’expression politique ?
Il y a toujours eu un fond de violence. Aujourd’hui, les organisations syndicales sont structurellement affaiblies. Ceux qui sont chargés de la médiation sociale sont très implantés institutionnellement, mais assez peu représentatifs au regard des taux de participation et de syndicalisation. Voilà pourquoi on voit apparaître de manière plus ou moins spontanée ces mouvements qui contestent aux organisations professionnelles cette capacité à relayer le mécontentement…
Y a-t-il eu des erreurs techniques sur le maintien de l’ordre comme on a pu le lire çà et là ?
S’il y a eu des erreurs, c’est probablement plus au niveau du renseignement qu’il faudrait regarder. Ont-ils la capacité à comprendre la taille, les origines et les motivations de ceux que l’on présente comme le black bloc ? J’ai tendance à penser que non. Le renseignement est obnubilé par la radicalisation islamique et les groupes de contestation politique radicale d’extrême gauche ou d’extrême droite semblent absents des radars… Quant à la question du terrain, quelle était la stratégie ? Je ne sais pas s’il y a eu une réflexion tactique, ou, tout du moins, personne n’a été en mesure de l’expliquer. Dispose-t-on d’un modèle de maintien de l’ordre en milieu urbain qui serait adapté à un groupe capable de se scinder en plein de petits groupes ? Je me le demande.